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LIVRE TROISIÈME.

présomption humaine, il va prendre tous les animaux successivement, les hirondelles, chiens, faucons, éléphants, bœufs, pies, araignées…, qui ont chacun leurs instincts, leur langage, leur industrie, leur talent, leur délibération, pensement et conclusion, leur fidélité, quelques-uns même (comme on le dit des éléphants) une sorte de vénération et de religion, et qui tous sont par conséquent nos confrères : on a l’antipode de Descartes, qui des animaux faisait des automates, comme le pensaient d’après lui Port-Royal et Pascal. Et ce dernier, qui avait fait la machine arithmétique, ne trouvait pas un animal si difficile à concevoir en effet comme pur automate.

C’est vers cet endroit du chapitre que se rencontre cette énergique pensée, si souvent citée :

« Quant à la force, il n’est animal au monde en butte de tant d’offenses que l’homme : il ne nous fault point une baleine, un éléphant et un crocodile, ny tels aultres animaulx, desquels un seul est capable de desfaire un grand nombre d’hommes : les pouils sont suffisants pour faire vacquer la dictature de Sylla ; c’est le desjeuner d’un petit ver que le cœur et la vie d’un grand et triumphant empereur. »

Pascal a imité et réinventé cette pensée de Montaigne à propos de Cromwell, le Sylla moderne ; le petit grain de sable y fait l’office de l’insecte qu’on ne nomme pas. Il n’a pas moins repris et refait cette pensée quand il a dit[1]:

« L’homme n’est qu’un roseau le plus foible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer ; mais, quand l’univers l’écraseroit,

  1. Qu’on m’accorde de citer ce qui est d’ailleurs si connu ; le complet vis-à-vis est ici nécessaire.