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PORT-ROYAL.

suffrages : aussi avait-il obtenu que la réunion se tint à Mantes qui était une ville de son diocèse ; ce qui lui donnait, comme évêque diocésain, une entrée qu’il n’aurait pu avoir s’il avait attendu la députation. Plusieurs provinces, le sachant voleur, avaient, dans leurs mémoires ou cahiers, chargé expressément leurs députés de ne point l’admettre, de l’exclure. Le Cardinal dut plaider pour lui en particulier auprès des prélats, au fur et à mesure qu’ils arrivaient. C’est ici que revient le fameux hors-d’œuvre et intermède :

« Peu de jours auparavant, raconte M. de Montchal, on avoit joué la grande comédie de l’Histoire de Buckingham et dansé le célèbre ballet au Palais-Cardinal, auxquels les prélats furent invités, et quelques-uns s’y trouvèrent ; l’appareil en fut si magnifique qu’on l’estima des sommes immenses, et il fut dit que le Cardinal, ayant voulu que les prélats y fussent invités par les agents, entendoit qu’elle fût jouée aux dépens du Clergé.
« L’évêque de Chartres y avoit paru rangeant les sièges, donnant les places aux dames, et enfin s’étoit présenté sur le théâtre à la tête de vingt-quatre pages, qui portoient la collation, lui étant vêtu de velours en habit court, disant à ses amis qui trouvoient à redire à cette action qu’il faisoit toutes sortes de métiers pour vivre. Il prit aussi le soin de disposer les plats du festin de madame la duchesse d’Enghien.
« Pendant que les brigues se faisoient pour lui, il ne put se tenir de dire à l’évêque de Bazas, qui dinoit à sa table, que c’étoit lui-même qui avoit dressé les Édits et arrêts pour l’amortissement[1], et d’en montrer les minutes corrigées de sa main, qui étoit tout ce qu’il avoit fait ; de quoi l’évêque de Bazas lui faisant reproche, il le menaça de le chasser de sa table ; mais il lui fut répondu que c’étoit la table du Clergé, puisque c’étoit de ses deniers qu’elle subsistoit, quoique contre sa volonté.
« Cela étant su anima davantage les députés à lui donner l’exclusion, laquelle le Cardinal voulant empêcher, il envoya l’évêque d’Auxerre vers tous les députés du premier Ordre, avec un billet signé de sa main par lequel il chargeoit ledit évêque de prier ses amis de vouloir recevoir en l’Assemblée l’évêque de Chartres sur la promesse qu’il lui avoit faite, et dont il se rendoit caution, que le Clergé n’auroit pas sujet de se défier de sa fidélité et qu’il ne voleroit plus ; ce sont les propres termes.
« Il disoit en particulier la même chose à ceux qui le voyoient, et, entre autres, il dit aux archevêques de Sens et de Toulouse et à l’évêque de Bazas que si l’évêque de Chartres faisoit la moindre friponnerie en l’Assemblée, il seroit sa partie, et lui en feroit porter une punition, qui le déchargeroit de blâme devant Dieu et devant les hommes… »

Ainsi le contraste, en ceci encore, est parfait : M. de Saint-Cyran prisonnier à Vincennes, et l’évêque de Chartres, déshonneur de son Ordre, effronté, éhonté, servile et triomphant, favori du maître, maître d’hôtel en cour, tenant chez lui table ouverte, se

  1. L’Édit du 18 avril 1639 sur les biens ecclésiastiques, qui était considéré par les intéressés comme un coup d’État financier allant à l’oppression de l’Ordre du Clergé et à lui enlever ses libertés.