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APPENDICE.

gaussant de tout. Il fut payé de ses services, cette année même, par l’archevêché de Reims.



SUR L’AUTEUR MÊME DE PORT-ROYAL

(Se rapporte à la page 51.)

Je crois et j’espère même que cet ouvrage de Port-Royal, terminé comme je l’entends et comme je l’ai conçu, ne satisfera entièrement ni les Jansénistes tous les premiers (s’il y en a encore), ni les Protestants chez qui pourtant je l’ai commencé, et qui y avaient d’abord applaudi ; qu’il ne mécontentera pas même absolument les Catholiques orthodoxes, qui l’avaient d’abord rejeté ; et que les esprits impartiaux verront que j’ai tâché, indépendamment de toute doctrine, d’en faire sortir en définitive, et coûte que coûte, une impression franche et vraie. Depuis que les années se sont écoulées et que les souvenirs de Lausanne ont pâli, les Protestants me sont devenus moins favorables, et, je dois le dire, je me suis attiré un peu de leur part ce refroidissement. Dans une de ces Pensées trop véridiques que l’on devrait peut-être garder pour soi, mais qui s’échappent aisément, à certains jours, du portefeuille de l’homme de Lettres trop indulgent à son génie, je me suis laissé aller à dire, tout à la fin de l’un de mes volumes de Critique mêlée :

« Je suis l’esprit le plus brisé et le plus rompu aux métamorphoses, j’ai commencé franchement et crûment par le dix-huitième siècle le plus avancé, par Tracy, Daunou, Lamarck et la physiologie : là est mon fond véritable. De là je suis passé par l’école doctrinaire et psychologique du Globe, mais en faisant mes réserves et sans y adhérer. De là j’ai passé au romantisme poétique et par le monde de Victor Hugo, et j’ai eu l’air de m’y fondre. J’ai traversé ensuite ou plutôt côtoyé le Saint-Simonisme, et presque aussitôt le monde de La Mennais, encore très-catholique. En 1837, à Lausanne, j’ai côtoyé le Calvinisme et le Méthodisme, et j’ai dû m’efforcer à l’intéresser. Dans toutes ces traversées, je n’ai jamais aliéné ma volonté et mon jugement (hormis un moment dans le monde de Hugo et par l’effet d’un charme), je n’ai jamais engagé ma croyance ; mais je comprenais si bien les choses et les gens que je donnais les plus grandes espérances aux sincères qui voulaient me convertir et qui me croyaient déjà à eux. Ma curiosité, mon désir de tout voir, de tout regarder de près, mon extrême plaisir à trouver le vrai relatif de chaque chose et de chaque organisation, m’entraînaient à cette série d’expériences, qui n’ont été pour moi qu’un long Cours de physiologie morale. »