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PORT-ROYAL.

d’œuvre : elles se rattachent essentiellement à un point important de notre sujet, à savoir l’établissement de la prose française régulière, à laquelle eurent tant de part, à leur jour, Messieurs de Port-Royal. Je disais donc :

« En prose, nous retrouvons Malherbe, maître et précepteur, et sévère examinateur comme en poésie. »

« Il a écrit de la prose, mais ce n’est point par là qu’il brille. Ses lettres, sauf celles qu’il a écrites avec faste, avec solennité (et celles-là sont vides et déclamatoires), sont fort ordinaires de style Sa Correspondance cependant demanderait une étude. On a pu distinguer chez Malherbe trois sortes de lettres : les solennelles ou consolatoires, les lettres d’amour ou galantes, et les lettres toutes familières. Les meilleures sont celles qu’il écrivait comme il devisait, au coin de son feu. Il y en a d’assez incorrectes, d’assez plates même, mais aussi de curieuses pour les faits, pour les impressions de bon sens qui s’y mêlent : telles sont ses lettres à Peiresc, qui répondent très-peu à l’idée que c’est un poète qui les a écrites, mais qui sont d’un homme de sens envoyant sur les événements, dont il est témoin, des comptes-rendus et des gazettes à un autre homme de sens. L’historien peut en tirer parti. Quoi qu’il en soit, Malherbe, de sa personne encore plus que par ses écrits, eut ce rôle singulier que, venu à la Cour dans les cinq dernières années du règne de Henri IV, il fut durant plus de vingt ans le grammairien en permanence ; il donna le signal de la transformation et de la correction de la langue, il mit les nouvelles générations au pas ; il rallia à lui les jeunes, il décida les timides ; on peut dire qu’il sonna la cloche, et l’on vint de toutes parts à son école. Mais le service et le bienfait principal de Malherbe dans la prose, ce fut encore d’avoir été le maître de Balzac, d’avoir contribué à le former, bien que la prose ne lui semblât point mériter, à beaucoup près, autant de soin que la poésie[1]: « Ce bonhomme, a dit Racan, comparoit la prose au marcher ordinaire, et la poésie à la danse, » et ajoutait « qu’aux choses que nous sommes obligés de faire on y doit tolérer même quelque négligence, mais que ce que nous faisons par vanité, c’est être ridicule que de n’y être que médiocre. » Balzac, lui, prétendait n’être jamais médiocre ni négligé en prose ; il prétendit toujours marcher du même air qu’on danse : « il n’y a jamais eu que les sectateurs de Belleville « (sans doute quelque maître à danser, ou peut-être le célèbre comédien de ce nom) et Balzac, a dit Racan, qui aient voulu nous obliger à avoir toujours la jambe tendue dans nos pro-

  1. À propos de n’en pouvoir mais, locution un peu basse, Vaugelas fait cette remarque (CXLIV) : « M. de Malherbe a en souvent usé, parce qu’il affectoit en sa prose toutes ces phrases populaires, pour faire éclater davantage, comme je crois, la magnificence de son style poétique par la comparaison de deux genres si différents. »