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PORT-ROYAL.

tout un peuple par la vigilance et la charité d’un excellent pasteur et par la sagesse d’un grand archevêque, etc. » C’est du curé de Saint-Maurice et des fruits singuliers de son zèle qu’il était question en cet endroit. M. Feydeau, un témoin fidèle, qui semble avoir eu pour mission d’accompagner et de seconder la vertu de M. Du Hamel aussi longtemps qu’elle marcha droit, nous est garant de l’exactitude des éloges d’Arnauld, Le curé de Saint-Maurice ne pouvait rester enseveli dans ce village : M. de Saint-Cyran ne vécut pas assez pour le voir à Saint-Merry, et je ne sais s’il l’y aurait désiré ; car, selon la remarque de Lancelot, a quoique M. de Saint-Cyran fût fort réservé à juger, parce que, comme il disoit quelquefois lui-même, la charité ne juge point, il n’a néanmoins jamais témoigné faire de M. Du Hamel une estime qui égalât la grande réputation que son humeur si agissante et cette gaîté aimable qui paroissoit sur son visage lui avoient acquise parmi le monde. Je ne sais, ajoute le discret Lancelot, s’il entrevoyoit dès lors dans cette grande âme quelque foiblesse, qui fût comme une semence de ce que nous avons vu depuis en lui à l’égard de la vérité. » Quoi qu’il en soit, M. Hillerin, l’un des curés de Saint-Merry[1], se sentant plus fait pour être un pénitent et un solitaire qu’un administrateur ecclésiastique et un conducteur des âmes, s’était remis aux mains de M. de Saint-Cyran qui l’encourageait et le guidait pas à pas dans cette vocation vers la retraite : après M. de Saint Cyran, M. Singlin acheva son œuvre et détermina M. Hillerin à résigner sa cure en faveur de M. Du Hamel, qui devint ainsi l’un des curés de Saint-Merry, de cette paroisse populeuse et centrale, surtout marchande et bourgeoise, riche aussi en fidèles de tout rang et de toute qualité (entre autres le président de Novion, le président de Blancmesnil, le conseiller d’État M. de Morangis, M. de Caumartin, évêque d’Amiens, quand il se trouvait à Paris, etc.). Pendant près de dix années (1645-1654), M. Du Hamel y marqua avec éclat par des actes et des manifestations de tout genre, par des fondations utiles et neuves ou par des retours à l’ancienne discipline. Il institua des conférences célèbres ; il réunit en communauté des ecclésiastiques de piété et de doctrine, une pépinière de docteurs ; il avait des assemblées de dames, de femmes de la bourgeoisie, et il excellait à stimuler la charité, donnant toujours le premier l’exemple et prêt, à chaque moment, à se dépouiller pour les pauvres. Son extrême charité, nous dit une Relation véridique, ne parut jamais plus que du temps de la guerre de Paris. « Voyant qu’un grand nombre de femmes et de filles des villages voisins se réfugioient

  1. Cette paroisse de Saint-Merry avait deux curés à la fois qui se partageaient le ministère et qui étaient de semaine à tour de rôle. Chacun faisait le prône alternativement, de deux dimanches l’un. Qu’on juge de l’état des choses quand la zizanie se mettait entre les deux pasteurs !