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PORT-ROYAL

Le premier volume de ses Lettres parut en 1624 ; ce sont les plus extraordinaires et les plus hyperboliques ; dans les volumes suivants, il tâcha d’être plus régulier ; mais les premières restèrent les mieux venues. Elles firent une révolution parmi les beaux-esprits et le portèrent du premier coup (c’est le mot) sur le trône de l’Éloquence. Ses Lettres en 1624, son Prince en 1631, par la quantité d’admirateurs qu’ils lui valurent, le rendirent un Chef de parti, dit Sorel.

Le succès littéraire de Balzac, dès son apparition, fut complet, c’est-à-dire qu’ils ne se composa pas moins de colères que d’applaudissements. Les auteurs à la mode, qui se croyaient les maîtres-jurés du métier, s’émurent de voir un nouveau-venu leur passer d’emblée sur la tête. Il se fit tout un enchaînement de querelles[1], dans lesquelles je n’entrerai pas, dans lesquelles Balzac lui-même ( on lui doit cette justice) entra aussi peu que possible. Cette vivacité de querelles parut se ranimer à plus de vingt ans de distance, lors de la publication des Lettres de Voiture, données après la mort de celui-ci par son neveu Pinchesne. On se tuait de comparer et de préférer. Balzac restait le devancier et le maître, mais le disciple avait pris un chemin si différent ! « Il n’est pas impossible, remarquait gravement l’abbé Cassagne, qu’un pilote n’ait enseigné l’art de la navigation à un autre pilote, quoique l’un ait fait tous ses voyages dans les Indes orientales, et l’autre dans celles de l’Occident. » On balançait, par ces grandes images, les deux gloires épistolaires rivales, au sortir de la lutte des deux fameux Sonnets, de même qu’on opposa parallèlement, dans la suite, Bossuet et Fénelon, Voltaire et Jean-Jacques. Faste et néant de l’éloge ! tous ces termes magnifiques ont déjà servi.

  1. Bibliothèque française de Sorel, au chapitre intitulé : Des Lettres de M. de Balzac.