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LIVRE TROISIÈME.

contraire, n’ont pas été inconséqusnts ; ils ne sont pas allés jusqu’au bout, voilà tout ce qu’on peut dire. Mais sur leur chemin ils ont toujours marché ferme et droit ; à un certain moment, tout au bord, ils se sont arrêtés. Quelques instants de plus, et qu’auraient-ils fait ? Seraient-ils restés campés obstinément en cette position escarpée, et l’auraient-ils pu ? auraient-ils rétrogradé ? auraient-ils franchi le ravin ? Nul ne le peut dire, car la mort (coïncidence singulière !) les prit juste tous les trois sur le temps de cette extrémité.

Pour ce qui est de Pascal, Arnauld essaya de le réfuter et de lui prouver que les papes Innocent X et Alexandre VII, par ces mots de sens de Jansénius, n’avaient pu vouloir condamner la Grâce efficace au sens de saint Augustin, de saint Paul ; et il en tirait la conclusion qu’on pouvait signer en conscience, puisqu’on était sûr de ce sens déterminé qu’avait en vue le Pape, lequel ne se trompait qu’en l’attribuant à tort à Jansénius et en le spécifiant à faux de son nom. Ainsi Arnauld plaidait l’orthodoxie du Pape, que niait Pascal : c’est ce que toutes les explications jansénistes ont vainement essayé d’obscurcir[1]. Les Écrits par lesquels Arnauld voulut réfuter Pascal furent pour la première fois imprimés par Quesnel, qui répondait, en 1696, au calviniste Melchior Leydecker, auteur d’une Histoire de Jansénius et du Jansénisme en latin. Leydecker, comme les écrivains de son bord, soutenait qu’en condamnant les cinq Propositions Rome avait condamné le vrai sens de saint Augustin et de saint Paul sur la Grâce efficace, et qu’elle constituait par cette décision toute l’Église catholique romaine en état de Pélagianisme ou de semi-Pélagianisme. Pascal ne pensait guère autrement, ce

  1. Voir la Préface historique du tome XXI, in-4o, des Œuvres d’Arnauld, pages CXXIX et suivantes, et tome XXII, pages 729, etc.