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PORT-ROYAL.

Il résulte des commentaires de Nicole et même des on dit du Père Daniel précédemment rapportés, qu’après la quatrième Lettre et malgré le jour qu’il venait d’ouvrir sur la morale de ses adversaires, Pascal hésitait encore ; que quelques-uns de ses amis du monde, comme le chevalier de Méré, l’attiraient vers ce champ plus large ; que du côté de Port-Royal, au contraire, on l’aurait volontiers retenu plus longtemps sur les matières de la Grâce, et qu’il se décida lui-même de son propre mouvement après une lecture. Il fut bien inspiré en cela, et le chevalier de Méré lui avait donné un conseil d’homme d’esprit[1]. Cette affaire de la Grâce devenait, en effet, ingrate en se prolongeant. Pour peu que Pascal eût insisté et se fût étendu, il se trouvait en désaccord avec le bon sens tout pélagien du monde et de l’avenir. Déjà, dans cette quatrième Lettre, les assertions des Jésuites dont il se moque, et qui vont simple-

    son procédé de composition et de style, il en est quelques-unes qui peuvent servir à déterminer sa rhétorique, en ce qu’elle eut chez lui de plus particulier et comme de personnel ; par exemple, lorsque, insistant sur la nécessité d’approprier les mots aux choses et de se renfermer dans le simple naturel, ni plus ni moins, il dit : « L’Éloquence est une peinture de la pensée ; et ainsi ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau au lieu d’un portrait. » Pascal marque ici la différence qu’il fait du portrait au tableau. Ce dernier, à son sens, paraît impliquer quelque chose de faux, de non réel, de surajouté à la pensée. Lui, il ne prétend qu’à être un peintre de portrait de la pensée intérieure. Le dessin avant tout : nulle couleur là où il n’y a pas d’abord dessin. Ainsi la beauté classique, comme il l’entend, n’est pas séparable de la sobriété et de la simplicité.

  1. Le chevalier de Méré ne donnait pas toujours à Pascal d’aussi bons conseils, et il y avait eu des jours où il s’était mêlé, assez impertinemment, de le régenter sur les mathématiques. S’il est vrai que ce fut lui qui l’engagea à quitter ici les matières de la Grâce pour se jeter sur la morale, on peut comparer ce conseil à celui que Gassion aurait donné à Condé pour la manœuvre décisive de Rocroy. — L’a-t-il réellement donné ? Pascal et Condé ont-ils eu besoin de conseil ?