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LIVRE TROISIÈME.

lui de tourmenté et de haïssable, lui inspire l’énergie violente du salut. Quand j’ai dit que l’esprit de Pascal se refusait par sa nature à certaines vues, à certaines atteintes et échappées dans d’autres ordres de vérités, j’ai peut-être été trop loin d’oser ainsi lui assigner des bornes que pourraient déranger bien des aperçus de ses Pensées ; mais ce qui est certain, c’est que, si ce n’était par nature, il s’y refusait au moins par volonté. Simple atome pensant en présence de l’Univers, au sein, comme il dit, de ces espaces infinis qui l’enferment et dont le silence éternel l’effraye, sa volonté se roidit, et défend à cet esprit puissant (plus puissante elle-même) d’aller au hasard et de flotter ou de sonder avec une curiosité périlleuse à tous les confins. Car sa volonté, ou, pour la mieux nommer, sa personnalité humaine n’aime pas à se sentir moindre que les choses ; elle se méfie de cet Univers qui l’opprime, de ces infinités qui de toutes parts l’engloutissent, et qui vont éteindre en elle par la sensation continue, si elle n’y prend garde, son être moral et son tout. Elle a peur d’être subornée, elle a peur de s’écouler. C’est donc en elle seule et dans l’idée sans cesse agitée de sa grandeur et de sa faiblesse, de ses contradictions incompréhensibles et de son chaos, que cette pensée se ramasse, qu’elle fouille et qu’elle remue, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin l’unique clef, la foi, cette foi qu’il définissait (on ne saurait assez répéter ce mot aimable) Dieu sensible au cœur, ou encore le cœur incliné par Dieu. Telle est la foi de Pascal dans sa règle vivante. Voilà le point moral où tout aboutit en lui, l’endroit où il réside d’habitude tout entier, où sa volonté s’affermit et se transforme dans ce qu’il appelle la Grâce, où sa pensée la plus distincte se rencontre et se confond avec son sentiment le plus ému. Il aime, il s’apaise, il se passionne désormais par là ; et s’il rencontre jamais des empoisonneurs publics de la morale, des corrupteurs de ce cœur