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PORT-ROYAL.

aux limites, là où les clartés se mêlent aux ombres nécessaires, là où ces ombres recèlent pourtant et quelquefois livrent à demi des vérités autres que les vérités toutes claires et démontrables[1]. Plus d’un vaste esprit en travail des grands problèmes, et en quête des origines, a fait effort pour remonter vers les âges d’enfantement ou, comme on dit, les Époques de la nature, vers ces jours antérieurs où l’esprit de Dieu était porté sur les eaux, et pour arracher aux choses mêmes des lueurs indépendantes de l’homme. Pascal prend le monde depuis le sixième jour, il prend l’Univers réfléchi dans l’entendement humain ; il se demande s’il y a là, par rapport aux fins de l’homme, des lumières et des résultats. Avant tout, le bien et le mal l’occupent ; sur l’heure et sans marchander, il a besoin de clarté et de certitude, d’une satisfaction nette et pleine ; en d’autres termes, il a besoin du souverain bien, il a soif du bonheur. Pascal possède au plus haut degré d’intensité le sentiment de la personne humaine.

Or, par là, par cette disposition rigoureuse et circonscrite, par cette concentration de pensée et de sentiment, Pascal retrouve toute force et toute profondeur. Ce seul point, creusé à fond, va lui suffire pour regagner le reste. Si nous le voyons s’élancer d’un tel effort pour embrasser, comme dans un naufrage, le pied de l’arbre de la Croix, c’est que la vue des misères de l’homme, la propre conscience de son ennui, de son inquiétude et de sa détresse, c’est que tout ce qu’il sent en

  1. Pour parler à la moderne et rendre toute ma pensée, Pascal est l’esprit le moins panthéistique qui se puisse concevoir. Qui mieux que lui, par moments, a compris les profondeurs de l’infini et, pour ainsi dire, le désert du ciel ? Mais il ne s’y laisse pas absorber, il tient bon, et l’on retrouve toujours, comme sur son cachet, le regard qui se contient et s’enferme dans la Couronne d’épines.