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PORT-ROYAL.

devient tout d’un coup fatal au bon religieux et lui part tout de bon dans la manche, en blessant toute la Compagnie.

On a dit, entre autres objections encore, que ce bon Père Casuiste va de plus en plus en s’exagérant comme caractère ; que (contrairement au servetur ad imum), de simple qu’il était seulement d’abord, il devient un niais qui tombe dans tous les pièges, et qui, lorsqu’il est déjà dit expressément que les Lettres courent Paris et font scandale, continue ses révélations comme s’il n’était nullement informé de l’effet. Mais Pascal, en observant l’art, ne s’y asservit pas et n’en est pas dupe. Après tout, c’est moins un dialogue direct qu’il nous donne, que le récit fait par l’un des interlocuteurs et dans lequel l’autre est nécessairement sacrifié : il suffit que ce soit d’un air naturel. À mesure qu’il a moins besoin de son bon Père, Pascal le soigne moins, il le fait plus insoutenable, il le brusque jusqu’à ce qu’enfin il éclate. Alors et bon Père et provincial supposé, tout cela disparaît ; le combat s’engage à nu, et l’écrivain, encore masqué, mais sans plus de rôle, s’attaque droit à l’ennemi. Toute cette gradation, qui est celle de la passion même, de la conviction sérieuse et ardente, par conséquent du véritable art supérieur, s’opère dans l’esprit du lecteur comme dans celui de l’écrivain. Et ce dernier, en sa marche vigoureuse, met pleinement d’accord l’inspiration du talent avec le mouvement de l’homme moral et presque avec la colère du Chrétien.

C’est ici le lieu de relire l’admirable et victorieuse péroraison de la dixième Lettre, qui couronne, en les brisant, cette suite de dialogues ; le temps de l’ironie a cessé, l’indignation commence : « O mon Père, il n’y a point de patience que vous ne mettiez à bout, et on ne peut ouïr sans horreur les choses que je viens d’en-