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PORT-ROYAL.

Je sais tout cela, et, comme on le voit, j’en tiens compte ; et pourtant j’estime que Pascal a frappé juste dans l’ensemble de ses coups. Force est donc que je m’explique sur l’idée même que j’ai de la Société de Jésus.

Toutes les exceptions d’abord qu’on doit faire quand on parle de cette Société, tous les respects qu’il faut réserver à de grands services rendus et à des hommes recommandables par les talents comme par les vertus, ne sont pas ici une précaution dans ma bouche, mais une justice. Personne n’admire plus que je ne fais les héroïques travaux des Jésuites comme missionnaires, leurs beaux travaux comme savants, les Jésuites du Canada et ceux de la Chine ; personne ne les goûte davantage comme gens d’esprit et de savoir au Collège Louis-le-Grand ou à Trévoux ; et je ne ferai pas au Journal de Trévoux, par exemple, l’injure de lui comparer les Nouvelles ecclésiastiques, cette triste feuille janséniste, dans laquelle, durant tout le dix-huitième siècle, il ne se rencontre pas une seule étincelle de talent, pas une seule lueur d’impartialité. Honneur donc aux Jésuites missionnaires comme Charlevoix, missionnaires et doctes comme Prémare, aux Jésuites érudits comme Sirmond, Hardouin ou Petau ! Qui n’aurait aimé à connaître et à pratiquer Bouhours, Rapin, Commire, Jouvancy, de La Rue, Sanadon, Buffier, Bougeant, Tournemine, Du Cerceau, Le Jay ou Porée[1] ? Dans leurs collèges encore

  1. Ou un peu plus tard, aux années du bannissement et de l’exil, le curieux et intéressant Griffet, cher au prince de Ligne ; ou ce Père Desbillons, de qui je lis (dans le Clément XIII et Clément XIV de M. de Ravignan) une touchante lettre datée de Manheim et qu’il adressait à son frère en France, lettre pleine d’une soumission triste et douce, d’une douleur corrigée d’aménité, et qui fait qu’on se demande comment les hommes peuvent être si cruels envers les hommes : mais c’est qu’aussi les Corps, les Ordres tout entiers, quand ils étaient les maîtres, ont abusé.