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LIVRE TROISIÈME.

premier embrasse des espaces, l’autre s’attaque au fond ; l’un ressemble à ces conquérants empressés qui sont obligés en courant de se payer d’une soumission extérieure, l’autre ramasse toute sa force sous l’œil de Celui qui régénère.

Xavier part le 15 mars 1540, sans autre équipage que son Bréviaire ; car c’est le Bréviaire plutôt que l’Écriture même. On sait la suite : du dévouement, de la charité, de l’héroïsme encore un coup, mais une rapidité incroyable à baptiser, à croire au christianisme subit des néophytes ; et des superstitions, des crédulités telles, que je ne puis que laisser à Bouhours le courage de nous les dire ; ce qu’il fait, au reste, bien lestement :

« Dieu, raconte-t-il en un endroit, rendit alors au Père Xavier le don des langues qui lui avoit été donné dans les Indes en plusieurs occasions ; car, sans avoir jamais appris la langue chinoise, il prêchoit tous les matins en chinois aux marchands de la Chine qui trafiquoient à Amanguchi, et qui y étoient en grand nombre. Il prêchoit l’après-dîner aux Japonois en leur langue, mais si facilement et si naturellement qu’à l’entendre on ne l’auroit pas pris pour un étranger. »

Nous avons des superstitions à Port-Royal ; nous allons avoir le miracle de la Sainte Épine ; nous avons le miracle de la farine et autres par trop impatientants : mais y a-t-il exemple d’une telle familiarité, d’un tel sans façon en fait de miracles ? C’est déjà un résultat étrange et caractéristique du régime de la Société, que de telles choses aient pu courir de ce ton de légèreté sous la plume d’un confrère d’autant d’esprit, intéressé à ne rien outrer, à ne rien trahir, en un temps où la critique déjà s’introduisait dans l’histoire ecclésiastique, à la veille de l’abbé Fleury, et comme entre Launoi et Tillemont.