On avait fait courir le bruit que Pascal s’était repenti d’avoir fait les Provinciales ! On racontait, comme acheminement à ce prétendu repentir, une certaine historiette de la marquise de Sablé, qui n’aurait pu s’empêcher de demander à Pascal s’il était bien sûr de tout ce qu’il disait dans ses lettres ; et Pascal lui aurait répondu que c’était à ceux qui lui fournissaient des mémoires à prendre garde ; que, pour lui, son affaire était simplement de les mettre en œuvre. Or, quand on demanda à Pascal, un an environ avant sa mort, s’il se repentait d’avoir fait les Provinciales, il répondit, selon le témoignage écrit de mademoiselle Marguerite Périer présente, et avec cet accent qui coupe court à tout :
« 1° Je réponds que, bien loin de m’en repentir, si j’étois à les faire, je les ferois encore plus fortes. — 2° On m’a demandé pourquoi j’ai dit le nom des auteurs où j’ai pris toutes ces propositions abominables que j’y ai citées. Je réponds que si j’étois dans une ville où il y eût douze fontaines, et que je susse certainement qu’il y en eût une d’empoisonnée, je serois obligé d’avertir tout le monde de n’aller point puiser de l’eau à cette fontaine ; et comme on pourroit croire que c’est une pure imagination de ma part, je serois obligé de nommer celui qui l’a empoisonnée, plutôt que d’exposer
depuis peu une anecdote singulière, mais avérée, sur son compte : il eut l’idée de réfuter les Provinciales, d’en faire la contre-partie, et cela par ordre, pour complaire au cardinal de Fleury et au lieutenant de Police Hérault : « Ces messieurs, le voyant prévenu contre les Jansénistes et ami du Père Tournemine, voulurent l’engager à écrire pour la cause du Molinisme contre le Jansénisme, et il avait commencé quelque chose dans le goût d’Anti-Lettres Provinciales. Il vint chez M. Hérault et lui dit qu’il ne pouvait continuer, qu’il se déshonorait étant soupçonné de cela, et regardé comme plume mercenaire, et il jeta son ouvrage au feu. » M. Hérault et le Cardinal ne le lui pardonnèrent pas. (Journal et Mémoires du marquis d’Argenson, 4 octobre 1739.) C’est Voltaire lui-même qui a avoué ce beau fait à M. d’Argenson. — Tous ces essais d’Anti-Provinciales ont manqué.