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LIVRE TROISIÈME.

En même temps les regards de la Cour se portaient sur le monastère des Champs, sur les solitaires qui vivaient à l’entour, et les petites Écoles qui s’y abritaient. Chaque matin, les amis empressés de Port-Royal, et, entre autres, le célèbre M. de Saint-Gilles, le jeune M. de Pontchâteau, alors âgé seulement de vingt-deux ans et dans tout le premier zèle d’un néophyte encore à demi mondain, se multipliaient par la ville pour recueillir les bruits, pour épier les plans des adversaires, et ils donnaient l’alerte aux endroits menacés. M. d’Andilly, dans ce péril, crut devoir prendre l’initiative, comme étant par son âge et par sa condition, on l’a vu[1], le chef naturel de l’armée pacifique des Solitaires, le doyen et protecteur de ce Désert qu’on voulait forcer. Ces grands rôles lui allaient, et il ne s’épargnait pas à les bien remplir. Il fit comme ces gouverneurs de place qui n’at-


    la Lettre de cachet, ne parlerait point de l’exclure de sa chaire, il le faudrait ordonner dans la Maison, lui seul ayant plus infecté de jeunes gens que tous les livres de M. Arnauld. Les détails de cette radiation, les formes qu’on y mit, j’allais presque dire les égards, seraient à noter. En même temps que le Senieur de Sorbonne recevait la Lettre de cachet où étaient les ordres du Roi relativement à M. de Sainte-Beuve, celui-ci en recevait une particulière dans le même sens, qui lui fut apportée, le 1er mars, sur les neuf heures du matin, par M. Cartier, secrétaire de M. Le Tellier. Le messager était officieusement chargé par le ministre de tirer, s’il se pouvait, du savant professeur une réponse assez satisfaisante pour qu’on n’eût pas à procéder aux dernières rigueurs. M. de Sainte-Beuve, qui devait céder de guerre lasse cinq ans plus tard (1661), fut inébranlable à ce moment. — Est-ce pour faire amende honorable de tant de constance, et pour réparer le temps perdu que plus tard, hélas ! quand il eut cédé, il n’y mit plus de mesure ? car alors, selon qu’il s’en vanta lui-même, il signa le Formulaire sept fois (c’est-à-dire, autant de fois qu’on voulut) purement et simplement, et il écrivit et soutint qu’on était obligé de le signer ainsi par obéissance à ses supérieurs. Voilà ce qui s’appelle une chute. — (Pour un plus ample informé, vouloir bien attendre toutefois jusqu’au chap. II du livre V.)

  1. Au tome II, livre II, chap. XV et XVI. En 1656, M. d’Andilly avait soixante-sept ans.