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PORT-ROYAL.

« (Du 10.) Les préparatifs de notre persécution s’avancent tous les jours : on attend du Tibre l’eau et l’ordre pour nous submerger… »

« (Du 24.) Enfin tous nos Hermites sont sortis d’ici : il n’y reste plus que mon frère d’Andilly ; il faut qu’il sorte aussi, n’ayant pu obtenir de la Reine, quoiqu’elle lui fasse l’honneur d’avoir de l’affection pour lui, d’y demeurer… ; et tout ce qu’on a pu obtenir, c’est qu’il ne vînt point de Commissaire les en chasser, sur l’assurance qu’on obéiroit, comme on a fait. Notre vallée a été vraiment une vallée de larmes. »

Les solitaires, en effet, étaient sortis le 20 ; on renvoya les enfants (ils n’étaient que quinze) en partie chez leurs parents, et en partie on les transféra au Chesnai, chez M. de Bernières. Le petit Racine, âgé de seize ans, était parmi les écoliers de Port-Royal des Champs lors de cette dispersion. Il ne paraît pas au reste qu’il ait quitté le pays ; il se retira sans doute à Vaumurier ou à Chevreuse chez ses parents les Vitart, et, dès que les solitaires s’en revinrent peu à peu (ce qui ne tarda guère), il put retrouver ses maîtres. Mais il avait commencé à se dissiper.

Dans une lettre à son neveu M. Le Maître, datée du 28 mars, la mère Angélique continue cette sorte de journal intérieur, si différent par le ton de ce que nous avons ouï chez M. d’Andilly :

« Mon frère d’Andilly qui étoit demeuré le dernier, et qui sembloit devoir être exempt d’une obéissance si rude, part aujourd’hui. Il faut adorer les jugements de Dieu avec humilité. … Nous verrons un jour en l’autre monde, et peut-être encore en celui-ci, une partie des causes que Dieu a eues de laisser opprimer ses serviteurs et sa vérité même. Cependant, nous avons assez de quoi nous consoler, quand ce ne seroit que cette parole qu’au juste tout lui coopère en bien.… J’espère qu’il assistera ceux qui sont sortis. Ils m’ont extrêmement édifiée : leur douleur a été toute chrétienne, sans