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LIVRE TROISIÈME.

bre, ont écrit, pour s’y opposer, un Rabat-joye du Miracle nouveau du Port-Royal, où l’on dit qu’ils n’ont rien fait qui vaille, mais surtout je m’étonne comment ils n’ont rien dit contre ces approbateurs de miracles, qui non carent suis nervis[1]. Le bonhomme Bouvard est si vieux, que parum abest a delirio senili. Hamon est le médecin ordinaire et domestique du Port-Royal des Champs, ideoque recusandus tanquam suspectus ; les deux autres (les Renaudot) ne valurent jamais rien, et même l’aîné des deux est le médecin ordinaire du Port-Royal de Paris qui est dans le faubourg Saint-Jacques. Imo ne quid deesse videatur ad insaniam seculi, il y a cinq chirurgiens-barbiers qui ont signé le miracle. Ne voilà-t-il pas des gens bien capables d’attester de ce qui peut arriver supra vires naturœ ? des laquais revêtus et bottés, et qui n’ont jamais étudié[2]. Quelques-uns m’en ont demandé mon avis. J’ai répondu que c’étoit un miracle que Dieu avoit permis d’être fait au Port-Royal, pour consoler ces pauvres bonnes gens qu’on appelle des Jansénistes, qui ont été depuis trois ans persécutés par le Pape, les Jésuites, la Sorbonne, et de la plupart des Députés du Clergé[3]… »

Combien de contemporains durent imiter en ceci Gui Patin, et avoir l’air de donner les mains au miracle, pour faire pièce au parti d’Escobar ! Les Jansénistes étaient de bonne foi ; plus d’un incrédule servit de compère.

  1. Dont il n’est pas difficile de découvrir les ficelles. On sait le vers d’Horace :

    Duceris ut nervis alienis mobile lignum.

  2. Il faut faire la part ici de la prévention de Gui Patin contre les chirurgiens ; pourtant on ne peut s’empêcher de remarquer que le seul témoin dont la déposition a quelque poids, le chirurgien Dalencé, est compris dans l’anathème et qualifié d’ignorant. Un prélat du bord des Jansénistes, l’évêque de Tournai (Choiseul), parlant de ce miracle dans un livre contre les Athées, et le racontant de manière à renchérir sur toutes les exagérations de ses amis, appelle Dalencé l’un des plus grands hommes du siècle en sa profession. Voilà comment, au gré de l’esprit de parti, chaque chose ou chaque homme a deux noms.
  3. Nouvelles Lettres de Gui Patin à Spon (1718), tome II, page 206.