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PORT-ROYAL.

ont fait connoître eux-mêmes à ceux qui n’osoient se l’imaginer, que cet esprit d’indifférence et d’indécision entre les vérités les plus nécessaires pour le salut, et les faussetés les plus capitales, est l’esprit non-seulement de quelques-uns de ces Pères, mais de la Société entière ; et que c’est en cela proprement que consistent, par leur propre aveu, les Sentiments des Jésuites. »

Pascal, se mettant à la place des Curés, n’a nullement grossi l’affaire en disant que toute l’Église de France était d’un côté, et l’Apologie des Casuistes de l’autre. On ne saurait aujourd’hui se faire idée de l’émoi du monde ecclésiastique à ce propos ; les Mandements des évêques pleuvaient de toutes parts pour flétrir ces maximes relâchées qu’un imprudent et un brouillon venait d’essayer de défendre[1]; et ce n’était pas seulement des évêques favorables aux Jansénistes que partaient les anathèmes, c’était de tous ceux qui avaient à cœur la régularité. On citait entre autres l’évêque de Cahors, Alain de Solminihac, un modèle évangélique, et qui passait pour un saint à canoniser comme M. Gault, comme Pavillon. Ce prélat exemplaire étant venu à mourir en 1659, au milieu de la querelle, il recommanda sur son lit de mort de dire à ses confrères les évêques qu’il considérait les Jésuites comme le fléau et la ruine de l’Église. Le mot

  1. Le malheureux auteur de l’Apologie mourut de chagrin, dit-on, en voyant l’explosion dont il était cause. Le Pape lui-même, instruit par son Nonce du bruit que faisait ce méchant livre en France, ne put s’empêcher de le condamner (août 1659). — Dans tous les cas, le Père Pirot ne mourut pas seulement de chagrin et de peine morale ; je lis dans une lettre de M. de Pontchâteau à M. de Neercassel : « Le Père Pirot est mort d’un cancer qui lui a mangé toute la langue ; la punition des autres qui ont commis de pareils excès n’est pas si visible, elle n’en est pas moins terrible pour cela, puisqu’elle sera éternelle. » C’est dans une lettre du 26 mars 1665 que M. de Pontchâteau se livre à cette vue et à cette réflexion consolantes ; la mort du Père Pirot devait être d’une date assez antérieure.