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LIVRE TROISIÈME.

rigoureux, et se tenaient pour assurés tôt ou tard du résultat[1]. M. Hallier, successeur de M. Cornet dans le Syndicat de la Faculté de Paris, ci-devant gallican zélé, mais dès à présent voué aux Jésuites, fut envoyé à Rome avec MM. Lagault et Joysel, pour y soutenir la requête des évêques molinistes. D'autre part, les docteurs Saint-Amour, de Lalane, Brousse, le licencié Angran, et plus tard M. Manessier avec le célèbre Père Des Mares de l'Oratoire, s'y rendirent et y tinrent pied, pour plaider la défense des évêques augustiniens. Toutes les difficultés et les traverses qu'éprouvèrent ces vaillants

  1. Intrigue à part, ils n'avaient pas tort d'y compter. Je sors, autant que je puis, des personnalités, et je note les points de vue à mesure que je les trouve. Quand on suit la marche des discussions et des hérésies durant les premiers siècles au sein du Christianisme, on voit qu'à chaque effort de la raison (Arius, Nestorius, Pélage) pour remettre le Christianisme commençant, et non défini encore sur tous les points, dans les voies du sens humain et de l'explication naturelle, il y eut un effort contraire des saints et orthodoxes pour serrer le ressort, et pour montrer, d'après saint Paul, le Christianisme régénérateur aussi contraire à la nature et aussi invraisemblable rationnellement que possible : la folie de la Croix ! et cela jusqu'à saint Augustin, qui achève de circonscrire le dogme dans tout son contour, et de l'asseoir carrément au sommet du rocher. Or, à mille ans de distance, on remarque un mouvement inverse et comme expansif au sein du Catholicisme, mouvement dont les Jésuites deviennent le plus actif, le plus élastique organe, et qui va de tout point à laisser le dogme se détendre, se concilier davantage et, faut-il le dire ? transiger, non pas avec la raison philosophique sans doute, mais avec la nature, avec les intérêts humains et civilisés, de toutes parts reparus. Rome, sans pousser à ce mouvement, y consent du moins, par tact, par sens pratique, et ceux qui veulent reprendre à l'ancien cran et resserrer de nouveau les choses dans le cercle inflexible qu'ils décrivent au nom de saint Augustin, sont mal venus, et sur la défensive à leur tour, et finalement éliminés. Je ne fais que poser le double point de vue, et la marche générale, indépendante, en quelque sorte, des passions mêmes. — On a dit plus brièvement et dans le même sens : « Les Jansénistes sont des Alcestes chrétiens ; tous les autres, auprès d'eux, sont des Philintes »)