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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/242

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PORT-ROYAL.

On citerait vingt autres passages, vingt autres parenthèses du même genre ; madame de Grignan plaide le libre arbitre, madame de Sévigné prêche la prédestination. Mais de quel ton la prêche-t-elle ? Voici un endroit encore qui est peut-être le principal et le plus suivi :

« Vous lisez donc saint Paul et saint Augustin[1] ; voilà les bons ouvriers pour rétablir la souveraine volonté de Dieu. Ils ne marchandent point à dire que Dieu dispose de ses créatures ; comme le potier, il en choisit, il en rejette ; ils ne sont point en peine de faire des compliments pour sauver sa justice, car il n’y a point d’autre justice que sa volonté : c’est la justice même, c’est la règle ; et, après tout, que doit-il aux hommes ? Que leur appartient-il ? Rien du tout. Il leur fait donc justice, quand il les laisse à cause du Péché originel, qui est le fondement de tout, et il fait miséricorde au petit nombre de ceux qu’il sauve par son Fils. Jésus-Christ le dit lui-même : « Je connois mes brebis, je les mènerai paître moi-même, je n’en perdrai aucune ; je les connois, elles me connoissent. Je vous ai choisis, dit-il à ses Apôtres, ce n’est pas vous qui m’avez choisi. » Je trouve mille passages sur ce ton, je les entends tous ; et quand je vois le contraire[2], je dis : C’est qu’ils ont voulu parler communément ; c’est comme quand on dit que Dieu s’est repenti, qu’il est en furie ; c’est qu’ils parlent aux hommes ; et je me tiens à cette première et grande vérité qui est toute divine, qui me représente Dieu comme Dieu comme un maître, comme un souverain Créateur et auteur de l’Univers, et comme un Être enfin très-parfait, selon la réflexion de votre père (Descartes). Voilà mes petites pensées respectueuses, dont je ne tire point de conséquences ridicules, et qui ne m’ôtent point l’espérance d’être du nombre choisi, après tant de grâces qui sont des préjugés et des fondements de cette confiance. Je hais mortellement à vous parler de tout cela : pourquoi m’en parlez-vous ? Ma plume

  1. Lettre du 14 juillet 1680.
  2. C’est-à-dire des passages qui semblent supposer l’existence et les droits du libre arbitre.