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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/245

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LIVRE TROISIÈME.

à sa fille sur ces sujets, c’était un jargon délicieux, c’était un ramage.

Tout en disant qu’il ne veut pas prendre ce badinage trop au pied de la lettre, de Maistre l’y prend néanmoins, et couronne son fulminant chapitre en cette superbe invective :

« La plume élégante de madame de Sévigné confirme parfaitement tout ce que vient de nous dire un vénérable magistrat (M. de Gaumont). Elle peint au naturel et, ce qui est impayable, en croyant faire un panégyrique, l’atrocité des dogmes jansénistes, l’hypocrisie de la secte et la subtilité de ses manœuvres. Cette secte, la plus dangereuse que le Diable ait tissue, comme disoit le bon sénateur et Fleury qui l’approuve[1], est encore la plus vile à cause du caractère de fausseté qui la distingue. Les autres sectaires sont au moins des ennemis avoués qui attaquent ouvertement une ville que nous défendons : ceux-ci au contraire sont une portion de la garnison, mais portion révoltée et traîtresse… »

Et il revient à son idée première ; mais on se demande comment les quelques passages de madame de Sévigné, dont on vient de lire les plus graves, lui donnent le droit de tirer de telles conclusions, et de les considérer désormais comme démontrées aux yeux de tous.

Le chapitre suivant est intitulé : Analogie de Hobbes et de Jansénius. Hobbes, comme on sait, prétend que (pour qui ne s’en tient pas aux apparences) tout est nécessaire dans l’homme, qu’il n’y a point de liberté proprement dite ou de liberté d’élection : « Nous appelons agents libres, dit-il, ceux qui agissent avec délibération ; mais la délibération n’exclut point la nécessité, car le choix étoit nécessaire, tout comme la délibération[2]. » Si l’on objecte que cette manière de

  1. Lettre de l’abbé Fleury sur M. de Gaumont, conseiller au Parlement (Nouveaux Opuscules de Fleury).
  2. Je cite "d’après de Maistre. — Voir aussi dans le Traité de la Nature humaine le chapitre XII, De la Délibération.