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PORT-ROYAL.

lonté est celle d’un Être parfait, comme elle l’ajoute tout aussitôt, qu’est-ce donc qui empêche (au point de vue chrétien) de s’en remettre aveuglément et docilement à cette volonté, même quand les raisons en échappent ? De Maistre, dans la citation qu’il fait du passage de madame de Sévigné, a grand soin de supprimer cette définition qu’elle donne de Dieu, et qui est précisément rassurante sur sa volonté suprême. Madame de Sévigné dit : « Je me tiens à cette première et grande vérité, qui est toute divine, qui me représente Dieu comme un maître, comme un Être très-parfait (relire ci-dessus)… Or, de Maistre s’arrête dans sa citation[1] après ces mots toute divine ; de sorte qu’à le lire, cette qualification de vérité toute divine a l’air de se rapporter à ce qui précède et non à ce qui suit, à ce qu’il supprime, et à ce qu’il ne saurait pourtant, lui chrétien, ne pas admettre comme une vérité incontestable. Si j’étais bien fort Janséniste, j’appellerais cette mutilation de texte une falsification ; mais comme je sais que chacun, en pareille matière, tire à soi (même les plus honnêtes), j’appelle cela simplement une inexactitude.

Ce qui doit étonner davantage, c’est que, prétendant juger à fond du dogme janséniste, un esprit vigoureux comme de Maistre n’ait pas pris la peine de remonter aux vraies sources, et qu’il se soit rabattu vers le plus commode. Madame de Sévigné, je l’ai dit d’elle comme de Boileau, était un Janséniste-amateur ; elle causait de toutes ces choses avec un enjouement ému et une imagination affectionnée : mais pour elle ainsi que pour Despréaux, c’était une manière comme une autre, meilleure qu’une autre, de passer son après-dîner, d’éclaircir, comme elle dit, ses entre-chien-et-loup. D’elle

  1. De l’Église gallicane, page 25.