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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/259

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LIVRE TROISIÈME.

de celui du Pape, qui y tenait dans l’origine, l’auteur en gaieté a dit : « Je laisse subsister tout exprès quelques phrases impertinentes sur les myopes. Il en faut (j’entends de l’impertinence) dans certains ouvrages, comme du poivre dans les ragoûts. » Ici il a certes abusé du procédé, et il a excédé la dose. On n’a qu’à se bien tenir, au sortir de ces passages, pour ne pas imiter le provoquant écrivain. On serait tenté, si l’on n’y prenait garde, de devenir injuste à son tour, de voir là dedans, raillerie à part, quelque chose d’essentiellement mauvais, d’aussi mauvais que ce rire de sarcasme tant reproché à Voltaire. On serait tenté d’y flétrir une sorte de mauvaise foi, non pas cette mauvaise foi méditée et du cœur, mais celle qui se glisse dans le torrent des paroles, et qui serpente dans les intervalles des lignes qu’on écrit. Si l’on concluait de ce seul exemple de partialité, de légèreté, (tranchons le mot) d’ignorance sur Port-Royal, aux autres thèses qu’a soutenues non moins intrépidement de Maistre sur le Pape, sur Bacon, on ne serait que rigoureusement logique et dans les droits de l’analogie. « Il n’existe pas de grand caractère qui ne tende à quelque exagération, » a dit de Maistre en ce même écrit[1]. On voudrait pouvoir ainsi expliquer son exagération, à lui, et n’y voir que les pentes abruptes et précipitées d’un grand caractère. Certainement jamais homme n’eut moins que lui l’entre-deux dont a parlé Pascal. Il est toujours tout d’un côté de sa pensée, au bout le plus extrême. Hôte de Saint-Pétersbourg, il écrit n’étant qu’à un pôle. Le tranchant, l’arrogant, l’insultant, percent à chaque rencontre dans cette pensée éminente, et en compromettent les incontestables élévations, les vraies sublimités. Chrétien, il aurait bien fait de lire au livre de Jansé

  1. De l’Église gallicane, livre II, chap. XI.