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LIVRE TROISIÈME.

sur tous les points, ce qu’ainsi d’emblée avait emporté Molière.

« Courage, courage, Molière ! voilà la bonne comédie ! » s’écriait un vieillard du parterre à une représentation des Précieuses. C’est comme si, à l’une des premières Provinciales, quelqu’un s’était écrié (et plus d’un, en effet, a dû le dire) : « Courage, inconnu, courage ! voilà le vrai goût trouvé, voilà la bonne prose ! »

L’École des Maris, en 1661, puis l’École des Femmes (décembre 1662, quatre mois après la mort de Pascal), qui valait à Molière les avances de Boileau débutant et de quinze ans plus jeune, poussaient gaiement l’œuvre. Je ne parle pas des Sganarelle ou des Don Garcie. Dès 1664, le Tartufe, tel que nous l’avons, était à peu près terminé ; on en donnait trois actes devant le Roi aux fêtes de Versailles, et à Villers-Cotterets chez Monsieur ; le prince de Condé se faisait jouer au Raincy la pièce tout entière. Paris se dédommageait avec avidité par des lectures. C’est précisément de 1664 qu’est cette jolie ballade de La Fontaine sur Escobar. La graine des Provinciales fructifie.

Racine, âgé de vingt-cinq ans, en était, à cette date de 1664, aux Frères ennemis, déjà brouillé avec ses maîtres de Port-Royal, contre qui il devait écrire deux ans plus tard. Nous tenons le nœud des grands noms poétiques du siècle.

Mais avant de saisir quelque chose du Tartufe à notre point de vue, il y a lieu de toucher l’homme et le génie dans Molière.

J’ai dit en parlant de Montaigne, que Montaigne, c’était la nature ; j’ai montré et j’ai suivi la nature en lui. Que n’ai-je pas maintenant à dire en ce même sens de Molière ! Combien n’est-il pas vrai de répéter de Molière comme de Montaigne : Molière, c’est la nature !