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LIVRE TROISIÈME.

de l’acteur, de Molière lui-même qui s’était trahi. Oh ! qui sut mieux que lui, Molière, la grandeur et le néant de l’homme, la faiblesse et les récidives risibles où nous mettent les passions les mieux connues de nous, et toujours triomphantes ?

Mais avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon foible, elle a l’art de me plaire :
J’ai beau voir ses défauts, et j’ai beau l’en blâmer,
En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer.

Qui sut mieux que lui ce que c’est que le genre humain, l’humanité réduite à elle seule ? Dans le moment même où il la secourait pour l’amour de l’humanité, ne la voyait-il pas la même que celle qu’il fustige d’habitude et qu’il raille ? Quand il y découvrait à l’improviste quelque vertu, pouvait-il se retenir de dire : Où la vertu va-t-elle se nicher ? s’étonnant bien moins au fond de ce que cette vertu se nichait sous les haillons du pauvre, que de ce qu’elle n’avait point délogé de dessous la guenille humaine.

L’homme est, je vous l’avoue, un méchant animal ;

quoiqu’il fasse dire cela à Orgon, il dut bien souvent l’avoir grommelé tout bas lui-même.

Tel je vois Molière, tel je le conclus de l’examen même de ses œuvres et de certaines conversations mélancoliques qu’on nous rapporte, et dans lesquelles, causant à Auteuil avec Chapelle, son secret lui est échappé.

Près de lui, en l’un de ces jours de plénitude où le cœur cherche à qui parler, au lieu de l’épicurien Chapelle, espèce de Désaugiers du temps, et qui ne se prête à l’entretien qu’à demi, j’ai peine à ne pas me figurer Pascal. Et pourquoi non ? Dans le jardin de l’hôtel Longueville ou ailleurs, par un de ces hasards singuliers comme il en est dans la vie, Molière et Pascal se ren-