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PORT-ROYAL.

tion de jugement du maître était méritée encore à cette date de 1669 ; l’apparition du Tartufe venait elle-même comme pièce à l’appui. Mais la balance, qui se maintint assez bien entre tout excès jusque durant les dix années suivantes, se rompit après.

La Préface de Molière, imprimée en tête du Tartufe, rappelle tout à fait l’ordre d’arguments de la onzième Provinciale, transporté seulement et étendu de la satire à la comédie[1]. Molière s’appuie des pièces saintes de M. Corneille, pour faire valoir le droit d’intervention du théâtre en matière sérieuse ; Polyeucte, avec raison, lui paraît un précédent pour Tartufe.

Ce n’est pas un feuilleton que je viens faire sur le Tartufe ; je ne le parcourrai que rapidement, et moyennant certaines réflexions qui nous touchent.

Tartufe, tout d’abord, tel que madame Pernelle en parle à toute la maison, et tel que toute la maison en parle à madame Pernelle, nous apparaît assez peu accommodant. Ce n’est plus là, ce semble, le disciple du Casuisme coulant, de la dévotion aisée, cet enfant d’Escobar. Dorine nous dit :

S’il le faut écouter et croire à ses maximes,
On ne peut faire rien qu’on ne fasse des crimes :
Car il contrôle tout, ce critique zélé.

Il a fait retrancher de la maison les bals, même les visites. Enfin, ce M. Tartufe, au premier aspect, a plutôt l’air d’un rigoriste. Pure affaire de costume ; allons au delà.

D’abord Molière a voulu dépayser ; il n’a pas fait de portrait trop ressemblant trait par trait, mais plus en gros et plus en plein, selon sa coutume. Les nuances

  1. «… Il y a donc des matières qu’il faut mépriser, et qui méritent d’être jouées et moquées. » (Pascal.)