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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/293

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LIVRE TROISIÈME.

splendeur sans doute plus épanouie et plus étalée dans ce long règne, mais aucun d’une gloire mieux assise et plus affermie. C’est le moment le plus juste et le plus brillant à la fois, le seul impartial. Arnauld, en même temps que Molière, y redevenait libre. Le régime du Père Ferrier approchait et n’y nuisait pas[1].

Toutes les précautions, au reste, étaient prises, sinon pour ne plus choquer la cabale, du moins pour intéresser le Roi dans la pièce, pour le mettre de son côté et le tenir. Dès la seconde scène du premier acte, Orgon est loué de n’avoir pas été frondeur :

Nos troubles l’avoient mis sur le pied d’homme sage,
Et, pour servir son Prince, il montra du courage.

Cela, dit en passant, allait au cœur de Louis XIV. Le soupçon d’avoir épousé les intérêts du Coadjuteur fut toujours le grand crime, le péché originel de nos Jansénistes dans son esprit. — L’acte cinquième tout entier roule sur la justice du Roi ; c’est le Roi qui, aux dernières scènes, devient le personnage dominant, quoique absent, le véritable Deus ex machina. Le Jupiter éclate ici comme dans l’Amphitryon, mais avec sérieux. Ce cinquième acte est toute une célébration de Louis XIV :

D’un fin discernement sa grande âme pourvue
Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.

Cette louange sur le droit sens naturel et la modéra-

  1. Bonaparte disait du Tartufe que, si on l’avait fait de son temps, il n’aurait point permis qu’on le jouât. Je le crois bien ; il y avait incomparablement moins de liberté sous le Consulat et sous l’Empire que sous Louis XIV à cette date de 1669 ; il n’y aurait eu place ni pour Molière, ni pour La Bruyère ; aussi se sont-ils bien gardés d’y venir. — Le Molière d’alors fut M. Étienne, et le La Bruyère, M. de Jouy.