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LIVRE TROISIÈME.

monde et curieux, qui se veut instruire. Cléante de même, mais plus à distance, se tient en dehors des dévots ; il se contente d’approuver les vrais, il les honore ; il flétrit les faux. La supposition de l’honnête indifférent d’après Pascal s’est élargie et a marché.

Cléante nous rend bien l’homme du monde comme Louis XIV le voulait dès ce temps-là. Il a un fonds de religion, ce qu’il en faut. Pas trop n’en faut, comme dit la chanson[1].

Dès le commencement, dans une tirade célèbre, il définit la vraie et la fausse dévotion ; il sépare l’une de l’autre :

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré, etc.

(Acte I, scène VI.)

On peut trouver pourtant que le vrai dévot, si bien tenu à part et en réserve, n’est plus guère là que pour la forme, pour l’honneur. Le faux dévot, au contraire, est tout à fait dégagé, mis en saillie et accusé en des traits à la fois généraux et précis, désormais ineffaçables : voilà son type populaire à jamais frappé. Chez Pascal, le faux dévot, le moraliste chrétien corrompu, qui supprime l’amour de Dieu dans la pénitence, qui n’admet pas la gravité du péché devant Dieu quand le péché offre certaines circonstances d’ignorance et d’oubli, ce Casuiste à moitié dupe est quelque chose de trop particulier pour devenir, dans ces termes-là, un type populaire et universel. Toutes ces distinctions si clairement déduites, et qui mènent Pascal à tant d’éloquents mouvements, sont trop fines pour qui n’est pas un peu janséniste, ou du moins assez sérieusement chrétien. Elles supposent presque toujours un avis de doctrine,

  1. Une petite question indiscrète : ce Cléante fait-il encore ses Pâques ? Je le crois. Certainement, cinquante ans plus tard, il ne les fera plus.