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PORT-ROYAL.

une foi singulière et formée sur ces questions, Cléante y va plus en gros, et dessine le faux dévot pour tout le monde. Quant au vrai dévot, tel que l’honnête mondain l’admettra dorénavant volontiers, ce n’est plus, toute opinion théologique à part, que le croyant sincère, désintéressé, mais tolérant :

Et leur dévotion est humaine, est traitable.

Depuis le dix-huitième siècle, on est convenu d’appeler cela la religion de Fénelon, au moins selon l’idée coulante qu’on s’en fait. Rien d’ailleurs ne saurait être moins gênant ; on l’honore, on la salue, et l’on s’en passe.

Les progrès de l’idée paraissent dans le cas présent bien sensibles, et je les marque sans réticence. Pascal (il n’y a pas à se le dissimuler) fit plus qu’il n’avait voulu ; en démasquant si bien le dedans, il contribua à discréditer la pratique ; en perçant si victorieusement le Casuisme, il atteignit, sans y songer, la Confession même, c’est-à-dire le tribunal qui rend nécessaire ce code de procédure morale et, jusqu’à un certain point, cet art de chicane. — On débite chez ces apothicaires bien des poisons ; quand cela fut bien prouvé, on eut l’idée toute naturelle de conclure à laisser là le remède. — Ce qu’un de ses descendants les plus directs, Paul-Louis Courier, a dit du Confessionnal, l’auteur des Provinciales l’a préparé[1].

L’esprit humain, une fois éveillé, tire jusqu’au bout

  1. Dans les Mémoires de Gibbon, de ce froid et habile ennemi du Christianisme, ne le voit-on pas mettre en première ligne, parmi les ouvrages qui ont contribué à former en lui l’historien de l’Empire romain, « les Lettres Provinciales de Pascal, que j’ai relues presque tous les ans, dit-il, avec un nouveau plaisir, et qui m’apprirent à manier l’arme de l’ironie grave et modérée, et à l’appliquer même à la solennité des sujets ecclésiastiques ? »