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LIVRE TROISIÈME.

plus solennelle du grand règne, et comme au milieu du pont, paraît considérer l’ensemble des choses et l’accepter pour stable, sans entendre dessous (lui prophète !) ou sans dénoncer du moins la voix des grandes eaux.

Dans ces sublimes Oraisons funèbres de Condé et de la Palatine, il fit comme avaient fait les héros vieillissants qu’il célébrait : il recouvrit d’un voile sacré l’incrédulité première et profonde ; il entonna le Te Deum de triomphe sur des tombeaux[1]. L’incrédulité

  1. On m’oppose (et j’aime à constater l’objection) quelques passages très-significatifs de Bossuet, l’un tiré de l’Oraison même de la Palatine, et où il apostrophe le siècle comme trop raisonneur et philosophique : « Siècle vainement subtil, où l’on veut pécher avec raison, où la foiblesse veut s’autoriser par des maximes, où tant d’âmes insensées cherchent leur repos dans le naufrage de la foi, etc. ; » et les autres tirés de ses Sermons, et qui semblent attester particulièrement une longue prévoyance. Ainsi, dans le sermon pour le second dimanche de l’Avent, sur la Divinité de la Religion, lequel fut prêché à la Cour, Bossuet s’élève contre ces esprits libertins et railleurs qui croient trancher d’aussi sérieuses questions par des demi-mots et des branlements de tète, puis il ajoute : « Mais c’est assez combattre ces esprits profanes et témérairement curieux. Ce n’est pas le vice le plus commun, et je vois un autre malheur bien plus universel dans la Cour. Ce n’est point cette ardeur inconsidérée de vouloir aller trop avant ; c’est une extrême négligence de tous les Mystères. Qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas, les hommes trop dédaigneux ne s’en soucient plus, et n’y veulent pas seulement penser ; ils ne savent s’ils croient ou s’ils ne croient pas, tout prêts à vous avouer ce qu’il vous plaira, pourvu que vous les laissiez agir à leur mode et passer la vie à leur gré… Ainsi je prévois que les libertins et les esprits-forts pourront être décrédités, non par aucune horreur de leurs sentiments, mais parce qu’on tiendra tout dans l’indifférence, excepté les plaisirs et les affaires. » Ce remarquable passage, qui semble prophétiser l’indifférence finale, tenait toutefois très-peu compte, on le voit, de la crise menaçante et de l’assaut violent qui s’apprêtait ; on dirait que le coup d’œil de Bossuet saute par-dessus Voltaire. Dira-t-on que, s’il ne prévoyait pas cela en particulier, il était d’avance préparé à tout, lui qui, dans son sermon sur l’Église, la faisait parler avec un si admirable et si sublime lan-