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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/349

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LIVRE TROISIÈME.

ravissements comme Pascal ; il chantait sa foi et sa mélancolie ; douceur tendre, et triste en effet ! car il est triste de ne croire qu’à une Sainteté aussi courte que la vie de l’homme. Mais du moins c’est toujours le lien du Ciel avec l’homme.

L’idée de Sainteté, dans Fantique Bouddhisme, apparaîtrait comme bien réelle encore, et de plus en plus dégagée pourtant des croyances qui sembleraient devoir en être le support naturel et l’appui. Conçoit-on qu’il se trouve encore des Saints, là même où il n’y a peut-être plus de Dieu ? Mais laissons cette Sainteté hors de prise, s’évanouissant dans l’Océan sans bornes où elle se perd.

Il y eut une fois dans le monde une race heureuse, héroïque, à qui il a été donné de prendre la vie par son plus noble côté, de suivre au soleil la vertu, la gloire, et, durant des siècles, d’y rester fidèle, depuis l’Achille d’Homère jusqu’à Philopœmen, jusqu’à Cléomène[1]. Sur cette terre de force et de franchise, on aimait hautement ses amis, on haïssait ses ennemis sans détour, on louait avec générosité ses adversaires ; il entrait de la grandeur naturelle en toutes choses. Certains vices même n’allaient pas jusqu’à flétrir ; ils se relevaient et s’associaient aisément à l’héroïque. La santé de l’esprit et celle du corps s’accordaient, et ne se démentaient pas. Et puis on mourait comme on avait vécu ; le javelot était reçu aussi hardiment qu’il était lancé ; la beauté de la mort, chez les Épaminondas, égalait et couronnait la splendeur de la vie. Sans doute nous ne savons pas tout ; à cette distance bien des dessous échappent, et la lumière de l’ensemble voile les inévitables ombres. Mais ce qu’on peut dire en toute certitude, c’est que pareille race, en de pareilles conjonctures, ne s’est jamais retrouvée depuis. La force humaine, déployée alors seulement

  1. Polybe, livre V, 38.