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LIVRE TROISIÈME.

dans, mais leur vie s’écoule avec ces larmes profondes ! » Et n’est-ce pas ainsi que lui-même est mort comme eux[1] ?

Disons-nous bien que nous sommes ici devant le beau moral et intime de notre sujet, dans sa plus sublime expression : l’évanouissement de Pascal, la mort de sa sœur ! Il y a le beau moral sous la forme antique, je l’ai déjà indiqué, la mort d’Épaminondas au sein de la victoire, et son âme triomphante qui jaillit de sa blessure avec son sang. Donnez à apprendre aux enfants l’Hymne d’Aristote à la Vertu, l’Hymne de Cléanthe, les vers de Simonide sur les Thermopyles : cela ne fera pas des Chrétiens, mais cela fera des hommes. Caton sortira de là, et, s’il le faut, arrachera avec ses mains ses entrailles. Voilà le beau moral sous sa forme héroïque, stoïque. Quant au beau moral chrétien, intérieur, tout rentré et tout voilé, nous le surprenons ici dans son essence la plus pure. Port-Royal désormais ne nous en offrira point d’exemple plus accompli. Cette dissidence de Pascal avec ses amis est plus grave qu’on ne l’a dit, et que ceux qui y assistaient ne l’ont senti eux-mêmes. Avec lui monte et s’échappe le dernier grand éclair de l’esprit de Saint-Cyran. Cet esprit ne luira plus dorénavant qu’à travers des ombres. Arnauld le combinera, le mêlera sans cesse avec des choses toutes contraires, avec l’esprit de Descartes, par exemple, ou encore avec l’esprit des Stoïciens. Il y a telle lettre de lui[2] où il se prend à citer avec admiration le præter atrocem animum Catonis : lui-même il avait quelque chose de cette âme. C’est bien ; c’est une noble et généreuse inconséquence dans un Chrétien, mais enfin une

  1. Voir sur la mort de M. Vinet mon volume des Derniers Portraits littéraires, 1852, pages 489-491.
  2. Lettre du 28 mai 1682.