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LIVRE TROISIÈME.

sonnes de qualité, écrivait à une demoiselle qui avait des terreurs d’imagination, et qui ne se laissait point rassurer par ses confesseurs :

« Où ils n’aperçoivent qu’un chemin uni, vous voyez d’affreux précipices. Cela me fait souvenir de M. Pascal, dont la comparaison ne vous déplaira pas ; car vous savez qu’il avoit de l’esprit, qu’il a passé dans le monde pour être un peu critique, et qu’il ne s’élevoit guère moins haut, quand il lui plaisoit, que le Père M. (Malebranche ?). Cependant ce grand esprit croyoit toujours voir un abîme à son côté gauche, et y faisoit mettre une chaise pour se rassurer ; je sais l’histoire d’original. Ses amis, son confesseur, son directeur, avoient beau lui dire qu’il n’y avoit rien à craindre, que ce n’étoient que des alarmes d’une imagination épuisée par une étude abstraite et métaphysique, il convenoit de tout cela avec eux, car il n’étoit nullement visionnaire ; et, un quart d’heure après, il se creusoit de nouveau le précipice qui l’effrayoit. Que sert-il de parler à des imaginations alarmées[1] ?… »

Qu’on veuille bien se rendre compte ; l’abbé Boileau a pour but de rassurer une demoiselle qui a des terreurs ou des vapeurs, et il lui cite une historiette qu’il tient d’original, dit-il, mais qu’il adapte un peu à la circonstance, comme il arrive toujours en pareil cas. La mémoire devient complaisante ; on redit à peu près ce qu’on


    blement de refuser le chapeau : « Vous serez plus grand, Monseigneur, en le mettant sous vos pieds que sur votre tête. » — Le cardinal de Noailles, jusqu’à son accommodement, avait eu auprès de lui M. Boileau ; il le fit alors chanoine de Saint-Honoré, pour l’éloigner avec considération.

  1. Page 207 des Lettres de l’abbé Boileau, imprimées en 1737 ; Voltaire écrivait sa lettre à’sGravesande un an après. Il venait de lire l’anecdote qui sans lui serait restée enfouie dans un livre obscur ; vite il en faisait monnaie selon son usage, et la voilà qui depuis ce temps court le monde. — Le Journal des Savants, dans un extrait qu’il donnait des Lettres de l’abbé Boileau (octobre 1737), citait le trait singulier, en ajoutant : Nous n’en avions jamais entendu parler.