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LIVRE TROISIÈME.

et sa beauté. Il arriva donc ici comme en d’autres choses plus graves : le défaut d’une sage réforme graduelle amena finalement une révolution.

Si l’on excepte pourtant ce qui est de curiosité littéraire, on avait d’ailleurs de quoi se former un jugement très-entier sur le fond. Les Pensées de Pascal étaient restées unanimement acceptées et inattaquées jusqu’en 1734[1], quand Voltaire, dans des Remarques jointes à ses Lettres philosophiques, ouvrit la brèche où le suivit Condorcet. Ce fut le premier signal de la réaction ; car on ne peut honorer d’aucun nom sérieux quelques chicanes de l’archevêque d’Embrun, M. de Tencin (1733), et la folle accusation du Père Hardouin, qui, dans son livre des Athées dévoilés (Athei detecti), y rangeait Pascal en excellente compagnie. De ce livre pourtant du Père Hardouin[2] il y aurait bien quelques mots à dire. Le savant Jésuite de Quimper-Corentin n’est pas réputé une autorité en matière de raisonnement ; il a ses visions, il est un peu piqué de la même mouche bizarre que feu son confrère Garasse et le Révérend Mersenne : mais avec ses paradoxes il fait penser. Autant qu’on peut saisir sa conception de Dieu d’après les accusations qu’il

  1. Il y avait eu, dès 1671, une critique du livre des Pensées et de la méthode hardie de l’auteur, une critique assez fine et assez justement touchée, faite au point de vue chrétien tempéré et au sens des Jésuites : elle était de l’abbé de Villars, et se trouve au traité De la Délicatesse, dans le cinquième des Dialogues qu’il écrivit sous ce titre, pour défendre le Père Bouhours contre Barbier d’Aucour. Mais cette flèche légère, venant d’un homme léger, fut peu remarquée et ne porta point.
  2. Dans ses Opera varia, publiés après sa mort, 1733. — Son opinion n’avait pas attendu jusque-là pour transpirer. On peut voir dans les Mémoires littéraires de Saint-Hyacinthe un Écrit publié en 1715, où la suite du raisonnement du Père Hardouin est fort bien démêlée, et où on la donne comme une conséquence rigoureuse de son péripatétisme scolastique. J’adopte l’explication, tout en me tenant pour mon compte dans des termes plus généraux.