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PORT-ROYAL.

intente contre l’idée des autres, il se figurait un Dieu tout judaïque, partial et même capricieux, qu’il donnait comme le seul Dieu orthodoxe, comme le seul Dieu vivant, par opposition au Dieu abstrait et mort des nouveaux philosophes. Ces nouveaux philosophes étaient les Cartésiens, dans lesquels il avait le tort de comprendre assez indistinctement tous les Jansénistes, et notamment Pascal. Quelque immense différence qui subsiste entre la théologie des Pensées et la théologie toute littérale, et en quelque sorte charnelle, du Père Hardouin, le Dieu de Pascal se pouvait encore moins confondre avec celui, tout idéal, des nouveaux philosophes ; car enfin c’est Pascal qui a écrit cette parole redoutable : « On ne comprend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pour principe qu’il aveugle les uns et éclaire les autres… » Et toute sa morale respire un Dieu personnel et vivant.

Aux diverses époques du monde, indépendamment de la pensée supérieure où s’entendent les hautes intelligences, il est, si l’on peut ainsi parler, une certaine idée commune et collective de Dieu, qui devient le rendez-vous du peuple des esprits. C’est ainsi qu’il y a eu l’idée de Dieu plus charnelle dans l’ancienne Loi, plus spiritualisée dans la nouvelle[1] ; et, même au sein de la

  1. Sans sortir du cercle des disciples de Port-Royal, on peut voir dans l’Abrégé de l’Histoire de l’Ancien Testament, par le sage Mésenguy (17(3, tome I, page 104), les explications et les correctifs qu’il prend soin de donner à l’expression du Dieu judaïque, de ce Dieu qui se repent, qui se met en colère, etc. Le tout se résume dans cette parole réparatrice de saint Augustin : « Vous aimez, oh mon Dieu ! mais sans passion : vous êtes jaloux, mais sans trouble : vous vous repentez, mais sans vous rien reprocher : vous entrez en colère, mais vous n’en êtes pas plus ému : vous changez vos opérations, mais jamais vos desseins. » Conciliation mystérieuse, et compréhensible seulement au cœur. {Confessions, livre I, chap. IV. — Tout le reste du chapitre étant sur ce ton d’antithèse, la phrase gagne à être ainsi traduite et isolée.)