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LIVRE TROISIÈME.

un peu en détail Pascal dans l’ordre naturel de son développement et dans la marche de l’action.

Après cette première grande esquisse de l’homme placé et perdu comme un point au sein de l’immense et splendide nature, et supérieur pourtant à elle puisqu’il a la pensée ; après avoir reconnu cette pensée qui monte, et qu’à chaque instant l’obstacle refoule ou déjoue, ce brûlant désir de trouver quelque part une assiette ferme, et d’y édifier une tour qui s’élève à l’infini (mais tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes) ; après avoir ainsi agité comme au hasard ce roseau pensant, et l’avoir vu flotter au sein des choses, Pascal prend l’homme en lui-même, et lui démontre au cœur, dans son moi, la racine naturelle de toute action, et une racine corrompue.

Tout à l’heure en débutant, et dans cette première vue de l’homme même déchu, il avait, on en a été frappé, des restes d’éclairs de Moïse, des ressouvenirs de l’Éternel parlant à Job, des reflets d’ancienne splendeur qui semblaient appartenir à Salomon : ici, en suivant dans ses replis, dans ses transformations et sous ses masques divers, le moi, c’est exactement La Rochefoucauld qu’il rappelle[1], qu’il égale par la précision et le tranchant de son analyse, qu’il surpasse par la profonde générosité du but et du mouvement. Chez Pascal, toutes ces pensées, qui décèlent et qui, pour ainsi dire, injectent les moindres veines cachées de l’amour-propre, ne sont pas, comme chez La Rochefoucauld, à l’état de

  1. La Rochefoucauld, dont les Maximes parurent d’abord en 1665, n’avait pas lu les Pensées, qui ne furent publiées que quatre ans plus tard ; et Pascal, mort depuis 1662, ne connaissait pas les Maximes. Ces deux grands auteurs restent tout à fait originaux dans leurs ressemblances. — Le lien, l’espèce de communication qu’on essayerait d’établir entre eux par madame de Sablé, serait une supposition pure.