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PORT-ROYAL.

description curieuse, indifférente ; elles n’essayent pas de circuler à titre de simples proverbes de gens d’esprit : le détail d’observation, chez Pascal, est porté par un grand courant.

Pascal savait tout ce que savait M. de La Rochefoucauld ; il n’avait pas eu besoin pour cela d’être tant mêlé aux choses de la Fronde. La mère Angélique écrivait un jour à madame de Sablé, à propos d’une visite que devait faire à cette dame la Princesse Palatine : « Vous êtes doctissime dans les passions, les dégoûts, les instances et les fourberies du monde ; de sorte qu’en en faisant bon usage, vous pouvez aider cette Princesse à s’en dégoûter. » Pascal était doctissime en telle matière autant que pas un ; il lui suffisait de tenir la maîtresse branche, et de la retourner en tout sens pour se convaincre qu’étant gâtée radicalement, toutes les branches l’étaient aussi :

« La vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteroient, si chacun savoit ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion. »

« Tous les hommes se haïssent naturellement les uns les autres. On s’est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public ; mais ce n’est que feinte, et une fausse image de la charité ; car au fond ce n’est que haine… Ce vilain fond de l’homme, ce figmentum malum n’est que couvert ; il n’est pas ôté. »

À part le mot concupiscence qui implique le Christianisme, qui donc a pensé cela, de Pascal ou de La Rochefoucauld ?

Mais là où Pascal se sépare, c’est quand il remarque