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PORT-ROYAL.

Ici donc, l’amour-propre une fois exploré, d’une part il sent à quel point « toutes ces dispositions si éloignées de la justice et de la raison ont une racine naturelle dans le cœur ; » d’autre part, il reconnaît que « quiconque ne hait point en soi cet amour-propre, et cet instinct qui le porte à se mettre au-dessus de tout, est bien aveugle, puisque rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. » Il faudrait donc haïr ce qui est la racine naturelle, haïr ce qui s’aime ; car a s’il y a un Dieu, s’écrie-t-il, il ne faut aimer que lui, et non les créatures. » Nouvelle contradiction : comment en sortir ? Dans cette première partie de son discours, Pascal se plaît à lever de toutes parts les contradictions, à en assiéger l’homme, à le presser dans les alternatives jusqu’à susciter l’angoisse. C’est ainsi qu’il le mate, qu’il le dompte, et qu’il compte bien l’amener à merci aux pieds de la Vérité.

Pascal à ce jeu prélude à peine ; il va s’y étendre. Dans tout ce qui touche la faiblesse de l’homme, l’incertitude de ses connaissances naturelles par rapport à la justice et à la vérité, les illusions de ses sens et de sa raison, sur tous ces points Pascal rencontre et accompagne pour un assez long chemin Montaigne et Hobbes, comme il vient d’accoster La Rochefoucauld.

Pour Montaigne, nous l’avons assez vu[1]; il semble très-souvent, en ces passages, que la pensée de Pascal ne soit qu’une note prise de souvenir d’après une lecture de Montaigne, une note toujours relevée et fortifiée de quelque trait. Pascal ne prend pas ses notes comme tout le monde.

Un léger changement dans la marche se fait sentir. Pascal, à cet endroit du développement, n’intervient pas à tout instant avec son inquiétude et avec sa passion

  1. Voir notre tome II, page 437, et dans Pascal le chapitre des Puissances trompeuses.