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LIVRE TROISIÈME.

du vrai, comme quand il a eu directement affaire à l’amour-propre. Dans cette considération de l’homme aux prises avec la coutume, il semble se complaire à le laisser aller seul, à le voir trébucher devant lui, comme un enfant noble de Lacédémone verrait l’ilote ivre faire ses ivresses en public, sans le retenir. Il y a une haute ironie dans cette tranquillité de Pascal durant tout ce chapitre.

Et qui aurait entendu Pascal à ce moment de son discours aurait certes été frappé de l’accent singulier et de je ne sais quel rire silencieux et imprévu sur ces lèvres du pénitent : « Mon ami, vous êtes né de ce côté de la montagne : il est donc juste que votre aîné ait tout. » — « Pourquoi me tuez-vous ? — Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ?… » L’auteur des Provinciales aurait peu à faire pour reparaître ici, mais armé de pointes encore plus sanglantes. Rencontrant partout l’homme sous un personnage d’emprunt et sous la bizarrerie de la coutume, il devait être tenté de le secouer avec le rire le plus acre de Molière. « L’homme est ainsi fait, qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit ; et à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. »

À entendre Pascal parler de la force, de l’empire du fait, on est effrayé de la netteté de sa décision :
« Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? de la force qui y est.
« La concupiscence et la force sont la source de toutes nos actions : la concupiscence fait les volontaires ; la force, les involontaires. »

Par concupiscence entendez le désir égoïste, et vous avez la doctrine de Hobbes et celle de plus grands que lui, des plus puissants d’entre ceux qui ont tenu dans