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PORT-ROYAL.

plée et donne le tableau ; on est suffisamment édifié. Mais en ce qui est de l’Église, on n’a pas toute la pensée de Pascal ; et peut-être lui-même, quand il mourut, il la cherchait encore. Nous avons noté de lui des mots hardis sur le Pape ; on en trouverait d’autres qui semblent un peu contradictoires. Ne pressons point ce côté, resté obscur. Ce qui ne l’est pas, c’est que sur la doctrine et le dogme moral, au milieu de cette tendresse et de cette effusion qui embrasse tous les hommes en Jésus-Christ, Pascal maintient toujours la part formidable et sévère, la part subsistante du mystère insondable, et qu’il ne cesse pas un seul instant d’être de la doctrine de la Grâce et de l’Élection, de la doctrine de saint Paul et de saint Augustin, j’ajouterai de celle de Jansénius et de Port-Royal : « On n’entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pour principe qu’il aveugle les uns et éclaire les autres. » Il ne veut pas sans doute qu’on aille jeter à la tête cette parole d’achoppement et qui favorise le désespoir, que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous ; il ne pense pas moins que « Jésus-Christ est venu aveugler ceux qui voyoient clair, et donner la vue aux aveugles. » Cette haute et ardue doctrine de l’Élection et de ses suites, Pascal ne la laisse pas de côté, aux confins, et comme un écueil où l’on peut se briser ; il en fait le principe et le point d’appui de sa direction même, et l’on est en droit de répéter, avec le judicieux et prudent Tillemont : « Ceux qui ont un amour particulier pour la doctrine de la Grâce doivent regretter encore plus que les autres que cet ouvrage n’ait pas été achevé : car il est aisé de juger que les fondements en auroient été établis sur la ruine du Pélagianisme et de toutes ses branches. »

Ceci soit dit pour ceux qui, en usant largement du livre des Pensées, et en prétendant y cueillir le fruit, nient le tronc ou l’insultent, et sont des ingrats.