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PORT-ROYAL.

s’étonne que ce geste paraisse quelquefois impérieux ! Fénelon dit de Démosthène qu’il se sert de la parole comme un homme modeste de son manteau pour se couvrir ; mais on a surpris le mouvement et la pensée de Pascal avant qu’il ait eu le temps de prendre son manteau. Admirons d’autant plus quand il y a grandeur et beauté ; jouissons de l’accident au milieu de tous nos regrets, et surtout ne nous scandalisons pas.

Au reste, la réputation de ce style est faite ; et quand une fois le monde se met à admirer, les plus timides ne sont pas ceux qui restent en arrière. Je ne viendrai donc pas renchérir pour louer ce qui est simple et grand. Le trait fondamental, cette simplicité ferme et nue a été sentie et unanimement caractérisée par tous les bons juges, depuis M. de Ribeyran ou tel autre approbateur[1], jusqu’à Fontanes. Ce dernier a très-bien remarqué qu’on ne peut imiter le style de Pascal. Avec de l’esprit, on peut faire quelque temps le pastiche de Montaigne, de Balzac (c’est facile), même un peu de Jean-Jacques ou de Montesquieu, non pas de Pascal ni de la prose de Voltaire. Pascal est plus marqué que Voltaire ; mais ni l’une ni l’autre prose n’offre de cette main-d’œuvre proprement dite, qui prête à l’imitation et à la contrefaçon. Il n’y aurait qu’une manière de les contrefaire : ayez leurs pensées[2].

  1. Il y a encore un beau mot de l’un des approbateurs, l’évêque d’Aulone (in partibus), qui a dit, comparant les Pensées à des essences : « Une seule peut suffire à un homme pour en nourrir son âme tout un jour, s’il les lit à cette intention, tant elles sont remplies de lumière et de chaleur. »
  2. Vers la fin de sa vie, harcelé et piqué par les Jésuites, « Despréaux, nous dit Brossette, avoit envie de ramasser tout ce que l’on pouvoit dire contre les Jésuites et d’imiter le style de Pascal, pour faire une Lettre à la manière des Lettres provinciales. Pour cet effet il disoit, que, quoique les deux Lettres à M. de Vivonne qu’il a composées dans le style de Balzac et de Voiture aient été