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LIVRE QUATRIÈME.

lettres b, o, n, qu’on leur fait prononcer l’une après l’autre. Or b prononcé seul fait  ; o prononcé seul fait encore o, car c’est une voyelle ; mais n prononcée seule fait enne. Comment donc cet enfant comprendra-t-il que tous ces sons qu’on lui a fait prononcer séparément, en appelant ces trois lettres l’une après l’autre, ne fassent que cet unique son, bon ? On lui a fait prononcer quatre sons[1] dont il a les oreilles pleines, et on lui dit ensuite : Assemblez ces quatre sons, et faites-en un, savoir, bon. Voilà ce qu’il ne peut jamais comprendre ; et il n’apprend à les assembler que parce que son maître fait lui-même cet assemblage, et lui crie cent fois aux oreilles cet unique son, bon[2]. »

J’ai voulu insister sur ce premier point, parce qu’il caractérise le sens et l’esprit que Port-Royal portera dans tout l’enseignement. Ces humbles maîtres, qui partout ailleurs soumettaient la volonté à la Grâce et la raison à la foi, accordèrent à la raison son entier contrôle sur ces branches humaines ; et en grammaire, en logique, en belles-lettres, nous les trouvons faisant la chaîne de Ramus à Du Marsais, de Gassendi à Daunou[3].

  1. Quatre sons en effet : bé, o, en-ne.
  2. Préface des Billets que Cicéron, etc., etc. — Voir aussi le chapitre VI, première partie de la Grammaire générale.
  3. J’ai cité ailleurs ce qu’a dit Daunou sur cette méthode même pour apprendre à lire aux enfants (Portraits contemporains, tome III, page 27). Il est curieux de comparer. — Rien n’est trop minutieux quand il s’agit d’enseigner l’enfance ; et je glisserai encore ici cet autre petit perfectionnement pratique qui concerne l’écriture. On doit à Port-Royal l’usage des plumes de métal qui ont fait gagner bien du temps aux élèves et leur ont épargné bien des petites misères. Fontaine écrivait à la sœur Élisabeth-Agnès Le Féron, le 8 septembre 1691 : « Si je ne craignois d’être importun, je vous demanderois si on taille encore des plumes de cuivre chez vous, et en ce cas je prierois notre Révérende Mère de m’en donner quelques-unes ; ce seroit une grande charité pour un petit peuple de la campagne où nous sommes, dont on veut bien prendre quelque soin. » Et dans la lettre suivante il fait remercier la Mère de les lui avoir envoyées. Cet usage des plumes de cuivre devait remonter au temps des Petites Écoles.