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LIVRE QUATRIÈME.

C’est la première fois peut-être qu’un auteur de grammaire s’exprime de la sorte et si en honnête homme ; car il est à remarquer que moins on met de son esprit dans une œuvre, plus on y tient d’ordinaire ; et rien n’égale, on le sait, l’âpreté des querelles de grammairiens et d’éditeurs.

Il ne faudrait pourtant pas prendre cette modestie trop au pied de la lettre, et ne voir dans les Méthodes de Messieurs de Port-Royal qu’une compilation bien faite ; ce serait méconnaître le mode d’une combinaison aussi judicieuse. Les premiers chez nous, ils ont introduit dans ces matières sèches l’ordre naturel et élémentaire ; ils les ont mises à la portée de tous dans un français régulier et simple ; ils ont fait pénétrer la lumière commune dans la poudre des classes. Aussi éloignés de la basse routine que de la science ardue, exempts de toute emphase, ils ont rappelé sans cesse qu’on ne puise la connaissance d’une langue qu’à sa source, dans les auteurs mêmes, et non dans des cahiers et autres recettes scolaires[1]. Au rebours des charlatans, ils mettraient volontiers en épigraphe à leurs Grammaires : Aliud est grammatice, aliud latine loqui. Ils répètent avec Ramus : Peu de préceptes et beaucoup d’usage.

Port-Royal, dans sa manière d’enseigner les belles-lettres, se porte comme par le milieu (toujours le media quœdam ratio) entre l’Université encore gothique et les

  1. « On met entre les mains des enfants, dit Lancelot, des livres de phrases, les accoutumant à se servir des plus élégantes, c’est-à-dire, de celles qui paroissent les plus recherchées et les moins communes. C’est pourquoi ils se garderont bien, pour dire aimer, de mettre amare ; mais ils mettront amore prosequi, benevolentia complecti ; au lieu que souvent le mot simple a bien plus de grâce et plus de force que les périphrases. » — L’Université, même depuis Fontanes, n’était pas encore purgée de ces mauvaises coutumes, et Lancelot a l’air de faire la critique de ce que pratiquait dans notre enfance le professeur Laya.