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LIVRE QUATRIÈME.

le livre des Racines fut composé, on comprendra qu’en suppléant de la sorte au Dictionnaire grec-français qui n’existait pas, ces Messieurs procurèrent encore un grand soulagement aux jeunes intelligences. Des personnes habiles me font remarquer de véritables fautes dans cette liste des racines[1]. Ce ne sont pas ces fautes que le Père Labbe y releva. Il avait autrefois publié lui-

  1. Je livre la note suivante à la méditation des gens du métier. — Il est reconnu par les grammairiens philosophes que toute racine a dû être, dans le principe, monosyllabe ; qu’un dissyllabe est déjà dérivé ; à plus forte raison quand c’est un mot de trois et quatre syllabes. Or Lancelot s’est si peu inquiété de ce principe, qu’il donne sans hésitation comme racines des trisyllabes à chaque stance, et même des quadrisyllabes : ainsi χρεμετίζειν. Son livre repose donc sur une idée fausse, ou du moins vague. — Une racine doit être d’une grécité incontestable : car si l’on ne prend pour point de départ un fait réel bien constaté, on court risque de se jeter dans l’arbitraire, et de créer une langue imaginaire à côté de la langue véritable. Or, c’est un soin que Lancelot a très-souvent négligé, et il donne en plus d’un cas pour racines certains mots qui ne se rencontrent pas dans l’usage. Ainsi :
    Ἀλίω, pour rouler, se met.

    Ἀλίω n’a jamais été usité nulle part ; c’est Ἀλίζω qui paraît avoir été employé. Ainsi :
    Φένω, πέφνω, tue et sacage.

    Φένω, πέφνω sont des inventions des grammairiens, pour rendre raison de quelques formes de φονεύω. Ainsi :
    Ἀμός, un ou quelqu’un désigne.

    Ce n’est pas là une racine, mais une terminaison qu’on a prise pour telle (μηδαμός, οὐδαμός). — Le sens d’une racine devrait être précisé avec rigueur, car c’est ce sens primitif qui donne la vie à toute la lignée. Or Lancelot hasarde les sens les plus équivoques, et quelquefois même les plus inapplicables. Ainsi :
    Γράω manger, être sculpteur.

    On trouve quelques temps de Γράω dans le sens de manger ; mais être sculpteur ! Sur quoi Lancelot a-t-il pu fonder cette signification ? — Une racine devrait être traduite de manière à donner le sens fondamental du mot, celui qui subsiste dans tous les dérivés, et