Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t3, 1878.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
545
LIVRE QUATRIÈME.

voit, et qui pensoit qu’on luy parlast de son compaignon, respondit plaisamment : « Il n’est pas gentilhomme, c’est un grammairien ; et je suis logicien. » Or nous qui cherchons icy, au rebours, de former non un grammairien ou logicien, mais un gentilhomme, laissons-les abuser de leur loisir : nous avons affaire ailleurs[1].

Pascal, en maint endroit de ses Pensées, a traduit ce gentilhomme en honnête homme.

Jean-Jacques à son tour, au début de l’Émile, n’a fait que reprendre à sa manière l’idée de Montaigne et de Port-Royal :

« Dans l’ordre naturel les hommes étant tous égaux, dit-il, leur vocation commune est l’état d’homme, et quiconque est bien élevé pour celui-là ne peut mal remplir ceux qui s’y rapportent. Qu’on destine mon élève à l’épée, à l’Église, au barreau, peu m’importe. Avant la vocation des parents, la nature l’appelle à la vie humaine : vivre est le métier que je lui veux apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre : il sera premièrement homme… »

Dans les trois cas, nous sommes hors de la scolastique ; mais le gentilhomme de Montaigne, l’homme de l’Émile (qui, par parenthèse, est un gentilhomme aussi, ayant gouverneur), l’honnête homme selon le dix-septième siècle, toutes ces formes et variétés, plus ou moins diverses du même type, se rejoignent et se confondent dans Port-Royal avec le Chrétien.

En sortant de l’ornière, la Logique de Port-Royal ne s’en vante pas trop pourtant :

« On abuse quelquefois beaucoup, dit-elle, de ce reproche de pédanterie ; et souvent on y tombe en l’attribuant aux autres. La pédanterie est un vice d’esprit et non de profession ;

  1. Essais, livre I, chap. xxv.