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PORT-ROYAL.

en grossissent leur idée… Ils s’accoutument à se regarder dès leur enfance comme une espèce séparée des autres hommes : leur imagination ne les mêle jamais dans la foule du genre humain ; ils sont toujours Comtes ou Ducs à leurs yeux, et jamais simplement hommes[1]. »

Ce n’est certes là que du bon sens, et même du bon sens un peu long, quoique je l’aie abrégé encore. Mais songez à la date, à la destination du livre pour un jeune Grand ; et soyez sûr qu’on ne trouverait jamais rien de pareil dans un ouvrage venu des Jésuites, mais bien probablement quelque flagornerie en vers latins sur l’excellence des aïeux : Cara Deum soboles…

Dans ces exemples tirés de la morale, il y a des moments où l’on domine tout d’un coup le sujet, des accents de finale élévation vers les choses éternelles : ainsi dans le chapitre x de la 1ère partie, où l’on rapporte quelques exemples d’idées confuses et obscures, toute la dernière page[2] me fait l’effet d’être du Pascal un peu amorti, étendu et solidifié, pourtant du Pascal ; un chapitre déjà des Essais de Morale de Nicole.

De ce genre sont encore, à la fin de la 3ème partie et à la suite de l’étude du syllogisme, pour en relever la sécheresse, les abondantes et vraiment belles considérations intitulées : Des mauvais raisonnements que l’on commet dans la vie civile et dans les discours ordinaires. Les plus saines règles de la critique s’y rencontrent unies à celles d’une civilité fondée à la vérité même et à la justice. Ces théologiens qui ont tant combattu, qui passent pour obstinés, qui l’ont été quelquefois, ne craignent pas, en garde contre eux-mêmes, de redoubler ces délicates recommandations qu’une sincérité touchante anime :

  1. Partie III, chap. xx.
  2. Depuis ces mots : « On peut découvrir par là… » jusqu’à la fin du chapitre.