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LIVRE QUATRIÈME.

office de Supérieur, et alla même jusqu’à lui ôter les pouvoirs pour la confession. — « Il faut avouer, Messieurs, que voilà d’honnêtes gens que nous venons de maltraiter, » disait galamment M. de Janson à ses familiers, au sortir d’un de ces actes de rigueur. — Il disait encore qu’on le laissât faire, « qu’il feroit plus de bruit que de mal ; qu’il n’en feroit point aux amis de son prédécesseur, mais qu’il étoit obligé de leur faire peur. » En attendant il faisait l’un et l’autre[1].

L’humble prêtre, retiré chez sa sœur, subit avec joie cette part de persécution, qui le rendait à une exacte solitude. Il y vécut encore 29 années entières, n’étant mort qu’en février 1709, à l’âge de 87 ans. On a le détail de sa vie dans les Mémoires de son neveu : il se levait tous les jours à quatre heures du matin au plus tard ; il priait, et travaillait sur les Pères ou sur les Apôtres. Il lisait, debout presque toujours, sur un haut pupitre, et ne s’asseyait que le moins possible, et pour écrire : sans feu dans sa chambre en toute saison, même par les plus rigoureux hivers. Mais comme, dans les temps ordinaires, il était toujours nu-tête et tenait le plus souvent quelque fenêtre ouverte, il disait agréablement que si, dans les grands froids, il ne se chauffait pas, il tâchait au moins de s’échauffer en fermant la fenêtre, en se couvrant la tête et en cessant d’écrire pour se promener ou plutôt pour faire de petites procession autour de ses deux chambres : tout en tournant ainsi, et pour se tenir en haleine, il récitait encore des Lita-

  1. Bien des années après, quand le cardinal de Janson revint de Rome dans son diocèse après une longue absence (1697), comme tout ce qu’il y avait d’un peu notable à Beauvais l’allait saluer, on conseilla à M. de Beaupuis d’en faire autant ; il se présenta donc chez le prélat, qui le reçut avec une parfaite distinction et avec toutes sortes d’égards, comme on peut les attendre de ces habiles mondains quand ils n’ont plus qu’à être honnêtes gens tout à leur aise.