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LIVRE TROISIÈME.

tort, ce nous semble : ses points d’attaque étaient bien choisis. Mais ce qui pouvait être vrai du style et des livres de Port-Royal pris en gros, à la veille des Provinciales, allait ne plus l’être le lendemain : tous les reproches de l’exigeant rhéteur, du critique acerbe, allaient être réfutés d’un coup par ce nouveau-venu, né de lui-même et qui n’avait passé par aucune école. Ce que réclamait le Père Vavassor, il l’avait maintenant ; il était servi selon ses désirs, et bien au delà.

Voltaire a dit (Siècle de Louis XIV) : « Le premier livre de génie qu’on vit en prose fut le recueil des Lettres Provinciales EN 1654 (il n’y regarde pas de si près). Toutes les sortes d’éloquence y sont renfermées. Il n’y a pas un seul mot qui, depuis cent ans, se soit ressenti du changement qui altère souvent les langues vivantes. Il faut rapporter à cet ouvrage l’époque de la fixation du langage. » Ce jugement, tant de fois reproduit, a force de loi. On relèverait pourtant, au passage, quelques petits mots qui ont changé[1]. De plus, dans ces premières Lettres toutes lestes et charmantes, Pascal, si dégagée qu’il ait la plume, n’offre pas mal de négligences, d’incorrections, qui se rencontrent de moins en moins dans les suivantes.

Les Jésuites qui ont si peu et si malencontreusement répondu à ce livre, l’un de ceux auxquels on ne répond pas, tant il se loge d’abord dans l’esprit et y règne par droit de premier occupant ! — les Jésuites, et le Père Daniel surtout, dans sa réplique tardive en 1694, au milieu

  1. « Je le suppliai de me dire en quoi consistoit l’hérésie de la proposition de M. Arnauld. C’est, ce me dit-il, en ce qu’il ne reconnoit pas… » Ainsi dans l’Épigramme de Patrix :

    Coquin, ce me dit-il, d’une arrogance extrême.

    Le Ce superflu de Ce me dit-il a disparu dans les éditions suivantes de la première Provinciale. C’est peut-être, au reste, le seul point gaulois de tout Pascal.