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PORT-ROYAL.

(par les miracles, par les figures, par les prophéties) est rejetée à la suite presque comme superflue. Pascal certes n’eût point procédé de la sorte, et l’entretien célèbre qui nous a été transmis, et dans lequel il exposa devant quelques amis le plan et la matière de son ouvrage, nous montre que ce plan était différent.

L’édition de M. Astié, à peine publiée, obtint des éloges dans le monde protestant et évangélique en vue duquel il l’avait conçue. La Revue chrétienne, dirigée par M. de Pressensé, publiait en novembre 1857 un fort bon travail dé Vulliemin, critique fin, sagace, mais qui, cette fois, discutant moins qu’il n’exposait, se montrait tout bienveillant et tout favorable. M. Vulliemin concluait en disant :

« Il nous semble, s’il était encore au milieu de nous, voir M. Vinet, l’interprète le plus intelligent et le plus sympathique qu’ait encore eu Pascal, sourire à cette édition qu’il a inspirée, et que M. Astié a consacrée à sa mémoire bénie. « On m’a pris mon Pascal, » disait-il en parlant de je ne sais laquelle des éditions qu’il a connues : « Pascal, dirait-il s’il avait celle-ci en main, mon Pascal m’a été rendu. »

Cependant d’autres critiques plus jeunes et plus verts, moins enchaînés à la tradition des souvenirs et de l’amitié, trouvaient à redire, et en donnaient les raisons précises. M. Eugène Rambert, professeur à l’Académie de Lausanne, publia dans la Bibliothèque universelle de Genève (mars, avril et mai 1858) trois remarquables articles où il soumettait à un examen scrupuleux l’édition de M. Astié, et il poussait jusqu’à Pascal lui-même, se demandant si, comme je l’avais fait entendre, le livre de Pascal, en tant qu’œuvre apologétique, avait fait son temps, et ce qui en subsistait aujourd’hui.

Pour ce qui était de la nouvelle édition, en particulier, M. Rambert prouvait avec beaucoup de netteté et de vigueur que M. Astié avait tiré Pascal à lui, et en avait fait, bon gré mal gré, un apologiste de sa façon et selon l’esprit de son école : cette école qui se rattache à M. Vinet, mais qui, comme toutes les écoles, est encline à outrer la pensée du maître, a pour principe de déduire la vérité du Christianisme des seules preuves morales internes, en faisant assez bon marché des démonstrations historiques positives (miracles, prophéties) et en y recourant le moins possible. Le Christianisme est démontré divin en vertu de la conscience humaine éclairée et consolée, qui le déclare tel. Or, Pascal, tout en insistant sur les preuves morales, était loin de négliger les autres preuves, de ne pas les mettre au premier rang, en première ligne, et, à l’exemple de M. Astié, de les reléguer comme à la suite de l’armée victorieuse, dans le bagage. Il était trop artiste (à ne le voir que par là) pour ordonner ainsi la marche de défense et l’apologie du Christianisme, et pour faire de son