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BÉRANGER


Le sol et l’habitant,
Le bon Dieu crée un fleuve ;
Ils en font un étang.

Et plus loin :

À la frontière où l’oiseau vole,
Rien ne lui dit : Suis d’autres lois.
L’été vient tarir la rigole
Qui sert de limite à deux rois.
Prix du sang qu’ils répandent.
Là, leurs droits sont perçus.
Ces bornes qu’ils défendent.
Nous sautons par-dessus.

Toute cette fantaisie rapide d’une allégresse indisciplinée, cette flamme voltigeante de poésie, qui, dans les Bohémiens, s’évapore en quelque sorte à travers l’air et n’aboutit pas, vient donc, dans les Contrebandiers, se rejoindre à un fonds de pensées lointaines, mais réalisables, auxquelles elle jette un merveilleux éclair. C’est à ce même fonds social, humain, d’une civilisation plus équitable et vraiment universelle, opposée aux misères de la nôtre, que sont puisées les inspirations si amèrement belles du Pauvre Jacques et du Vieux Vagabond. On ferait preuve d’un esprit bien superficiel en n’y voyant que des accidents particuliers auxquels se serait pris le poëte : Béranger a dramatisé, sous ces figures populaires, toute une économie politique impuissante, tout un système d’impôts écrasants ; il a touché en plein la question d’égalité réelle, du droit de chacun à travailler, à posséder, à vivre, la question, en un mot, du prolétaire. Les Quatre Âges